AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de colimasson


Trop de légendes urbaines tournent autour de C. G. Jung. Cela l'aurait bien fait rire, lui qui était passionné de mythologies. On l'image éclater de ce rire franc et brave que Charles Baudouin nous décrit lors de sa rencontre avec le vieil homme en 1934, lors du Séminaire de Bâle.


Les rencontres entre l'homme admiré et l'admirateur ne se passent pas toujours bien, preuve que le fantasme est souvent plus nourrissant que la réalité -qu'on évoque par exemple Paul Celan rencontrant Martin Heidegger. Dans le cas de Baudouin et de Jung, pas de mauvaise surprise : l'homme et la théorie s'accordent naturellement. Tout avait déjà été exprimé clairement et Jung n'a plus rien à prouver. Son oeuvre est cohérente puisqu'elle survit à son propre critère de validation : « Lorsqu'un philosophe édifie un système, ou lorsqu'un fondateur de religion en prêche une qui suscite en lui des douleurs corporelles, comme par exemple des troubles stomacaux, c'est à mes yeux le démenti le plus sévère qui puisse lui être infligé. Lorsque je veux savoir si une vérité est bonne et salutaire, si c'est une vraie idée, je me l'incorpore, je l'ingère, pour ainsi dire […]. »


Jung avait écrit Ma Vie lors de ses dernières années et il semble avoir toujours appliqué ce critère de validation à ses propres expériences. Toute période durant laquelle il troqua la vie pour la survie fut pour lui une étape de retranchement et de remise en question. Suivant ainsi la voie de Freud, il reconnaissait que la névrose était un signal d'alarme lancé par l'inconscient pour entamer le dialogue avec le conscient.


Charles Baudouin, psychiatre hybride à la croisée de Freud et de Jung, ne reprend pas ces étapes déjà brillamment résumées par Jung lui-même mais se propose plutôt de comprendre les notions qui en ont résulté. Il cherche également à remédier aux injustices dont Jung a pâti quant à l'appréciation de son oeuvre. Première hérésie lorsqu'il prend ses distances avec Freud en 1912, après une collaboration étroite de près de cinq années : ainsi les chantres du freudisme de la première école répudient-ils Jung sans vouloir reconnaître que celui-ci n'a pas renié les apports de Freud mais les a simplement élargis au point où la paresse les rend méconnaissables. On a reproché à Jung de se perdre dans un au-delà mythique qui n'a plus rien à voir avec la psychologie humaine avec ses notions d'inconscient collectif, d'anima, d'imago, de synchronicité ou d'individuation. Jung s'est défendu de cette hypocrisie –qui reconnaît pourtant souvent par ailleurs que le singulier s'approche le plus exactement par l'universel et le décentrement de soi- en rappelant qu'il ne s'arroge aucune des prétentions qu'on lui attribue. Il soumet des hypothèses de travail dont il reconnaît la validité par le résultat. En ce sens, Jung fait partie de ces premiers psychiatres à développer une éthique de la psychanalyse théoriquement irréprochable. Il refuse ainsi de prendre en charge l'analyse des enfants, considérant que celle-ci résulte d'une déresponsabilisation des parents qui tentent ainsi, consciemment ou non, de repousser les problèmes qu'ils ne veulent pas aborder sur la génération suivante. Il refuse également de soumettre le patient à l'autorité de son interprétation et il remarque que « la méthode d'interprétation de Freud est une explication réductive qui, si elle est maniée de façon exagérée et unilatérale, devient destructrice ». Dans la réalité toutefois, et c'est ce que Charles Baudouin n'a pas ici évoqué, Jung ne s'est pas montré aussi irréprochable qu'il l'aurait voulu. Qu'on se souvienne par exemple de sa relation amoureuse avec Sabrina Spilrein qui, en période de grande fragilité, aurait pu se montrer désastreuse.


Charles Baudouin se concentre en effet aveuglement sur la tâche de nous faire comprendre que les idées de Jung sont d'un bel humanisme. On peut hésiter à l'aborder par peur d'une trop grande complexité ou d'un hermétisme qui n'existent pas. Mais lorsque la rencontre s'effectue, quel soulagement. L'érudition peut servir lorsqu'elle est appliquée au bénéfice de l'homme. Jung nous apprend à reconnaître l'ambivalence inévitable qui caractérise notre condition d'être humain. Il nous explique que nous pouvons progresser au cours de notre existence mais prend garde à nous signaler les pièges que nous rencontrerons inévitablement : ils ne doivent pas nous forcer à abdiquer mais représentent au contraire la preuve que nous progressons.


Tout ce qu'a pensé Jung est peut-être faux mais celui qui s'est trouvé soulevé par ses bras n'y accordera aucune importance. Comme il dit de Dieu qu'il est une « fonction de l'inconscient, […] activation de l'imago divine par une masse dissociée de libido », nous dirons à notre tour que Jung qui apaise, veille et guérit, mérite lui aussi d'exister ne serait-ce qu'en raison des effets bénéfiques de son oeuvre.
Commenter  J’apprécie          200



Ont apprécié cette critique (15)voir plus




{* *}