L'École des saveurs

p. 30 "Le coeur de chaque personne a sa manière à lui de se briser. Le remède sera différent pour chacun, mais il y a des choses dont nous avos tous besoin. Avant tout, nous avons besoin de sécurité."
p. 82 "Les évènements de la vie sont une brindille de plus dans le nid d'instants et de promesses qu'ils avaient construit et les brindilles d'un nid ne sont pas droites."
p. 108 "Une fête ressemble beucoup a une cuisine. L'important, c'est ce qui en sort."
p. 188 "Il y a de nombreuses formes d'amour. Elles ne sont pas toutes évidentes. Certaines attendent, comme des cadeaux au fond d'un placard, qu'on soit capable de les ouvrir."

Sa mère prit la tasse et la porta à sa bouche, souffla légèrement sur le dessus en soulevant des spirales de vapeur qui lui montèrent au narines. Elle but quelques gorgées timides, presque perplexe, et releva les yeux de son livre pour regarder au loin.

Mais tu vois, à la fin, je crois que quelquefois c'est bien de ne pas savoir les choses. (...) Ça fait que tout est... une possibilité, si tu ne connais pas la réponse.

Elle se demandais parfois pourquoi les psychologues s intéressaient autant à ce qui se passait dans la chambre à coucher. On pouvait tout apprendre d un couple en observant sa chorégraphie dans la cuisine quand il préparait un repas.

Elle découvrit aussi que les gens semblaient réagir aux épices comme à d autres personnes, qu ils étaient instinctivement détendus au contact de certaines et pris d une sorte de rigidité cadaverique affectives devant d autres.

Les odeurs étaient pour elle ce que les mots étaient pour d autres, quelque chose de vivant, qui grandit et évolue.

Tu sais, Ian, commenta Antonia, mon père disait toujours que quand on part, on a besoin d'une raison pour quitter et d'une raison pour aller ailleurs. Mais je crois que quelques fois ta raison d'aller ailleurs et si grande, elle te remplit tellement, que tu ne te demande même pas pourquoi tu quittes l'endroit où tu es, tu le fais et c'est tout.

Elle porta le crabe à sa bouche, fermant les yeux une fois de plus pour se couper du reste de la pièce. La chair toucha sa langue et le goût la traversa, riche, plein et complexe, dense comme un long baiser. Elle prit une autre bouchée et son corps fut envahi par un fleuve de gingembre, d'ail, de citron et de vin blanc. Elle resta debout, même après deux autres bouchées, pour sentir le fleuve dérouler ses méandres jusqu'à ses doigts, ses orteils, son ventre et ses reins, faisant fondre tous les morceaux qui la composaient en quelque chose de chaud et de doré. Elle inspira et, dans cet unique moment de tranquillité, sentit qu'elle se rassemblait.

Lentement, Claire rouvrit les yeux.

Le dernier plat avait été lavé ; le sol de la cuisine brillait. Claire et James, qui avaient offert leur aide pour finir de nettoyer, avaient remisé leurs tabliers dans le panier de linge sale et descendaient l'allée, Claire, fatiguée, laissant aller sa tête contre l'épaule de son mari. Lillian se tenait devant le plan de travail en bois. La cuisine sentait le savon et l'eau, l'esprit de camaraderie vibrait encore dans l'air, doublé d'un discret courant de désir, subtil comme le safran, poudreux et comme l'estragon.

Les pétales parcheminés des poumons du crabe se détachaient sous les doigt de Claire et l'eau froide les emportait. Elle sentait son corps trembler et en même temps, au fond d'elle même, elle était agréablement troublée. C'était comme sauter du grand plongeoir quand on s'en croyait incapable. Ni la Claire employée de banque ni la Claire mère de famille n'aurait jamais tué un crabe. Cela dit, ces derniers temps, elle avait tellement changé qu'elle ne se reconnaissait plus.