Citations sur L'affaire du chien des Baskerville (11)
Et dès lors que Le Chien des Baskerville, s'ouvre sur une erreur d'interprétation de Holmes, il est inévitable de se demander si celle-ci ne préfigure pas une erreur plus globale, portant sur l'ensemble du roman, et si, se glissant dans la marge étroite entre loi scientifique et généralité statistique, un assassin n'en aurait pas profité pour échapper à la police et pour couler depuis, en toute impunité, des jours paisibles.
Et si l'on suit cette hypothèse, il existe donc, autour du monde littéraire ouvert par l'œuvre, une multitude d'autres mondes possibles que nous pouvons compléter par nos images et nos mots.
Loin d'être un système fermé, la méthode Holmes laisse ainsi subsister, tant au niveau ponctuel des indices qu'à celui de la construction d'ensemble, des solutions alternatives. Et c'est paradoxalement sa richesse qui la conduit à l'incertitude.
Dans la chambre où elle est enfermée depuis plusieurs heures, la jeune fille entend les cris et les rires qui montent de la grande salle. A mesure que la soirée avance et que les esprits s’échauffent sous l’influence de l’alcool, l’angoisse grandit en elle à la pensée du sort que lui réservent les hommes qu’elle entend festoyer, et, au premier rang, le pire de tous, le chef de la bande, Hugo Baskerville, propriétaire dévoyé du manoir qui porte son nom
Mais aucune hypothèse ne doit être écartée, et l'on peut supposer que ce chien en particulier n'aime que la chair vivante. Là se situe l'invraisemblance la plus complète du livre, qui confine à l’impossibilité matérielle. Cette impossibilité porte sur la vitesse avec laquelle l'action est censée se dérouler. Le chien se trouve, d'après l'examen des traces, à une vingtaine de mètres de sa victime, et donc, s'il s'est lancé à pleine vitesse, à quelques secondes de l'atteindre. Comment penser qu'en une durée aussi brève Baskerville puisse être pris d'une attaque cardiaque, en mourir et que le chien ait le temps de faire un diagnostic suffisamment précis pour décider, au nom de préférences alimentaires, de stopper son effort avant d'avoir atteint le corps?
Si l'indice est sélection, il est aussi interprétation, et donc pluralité de sens possibles. Le second élément d'ouverture de la méthode Holmes tient à la confusion subtilement entretenue entre la loi scientifique et la généralité statistique.
On comprend cependant que Holmes ne retienne pas l'hypothèse de l'accident, et ne l'examine même pas, alors qu'elle résulte logiquement de l'examen du type de mort et des traces, et qu'elle est même la seule à permettre de tenir compte de tous ces éléments. C'est qu'elle ne cadre pas avec sa vision du monde et son désir de trouver des meurtres. Elle est trop vulgaire pour un homme qui rêve de crimes grandioses commis des nuits de pleine lune dans des circonstances tragiques.
Cette constante erreur de perspective de Watson a pour conséquence que le lecteur se trouve sans cesse confronté à des textes dont il découvrira à la fin du livre qu'ils sont marqués par l'aveuglement. Et dès lors que Watson ne cesse de se tromper et alimente le lecteur de témoignages fallacieux, il est difficile d'accorder toute crédibilité au récit ultime par lequel il donne implicitement quitus à son ami de la justesse de ces conclusions.
C'est le lecteur qui vient achever l’œuvre et refermer, d'ailleurs temporairement, le monde qu'elle ouvre, et il le fait à chaque fois d'une manière différente.
Il existe, entre les mondes de la fiction et le monde 'réel' un monde intermédiaire propre à chacun, plus ou moins investi selon les sujets, et qui exerce une fonction de transition entre l'illusion et la réalité. Ce monde n'est ni complètement imaginaire ni complètement réel, puisque viennent s'y croiser, en s'y mêlant, des habitants des deux univers.