AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de zenzibar


Au fil de ses publications Antony Beevor (Stalingrad, Berlin…) a offert au grand public de riches essais sur quelques unes des phases critiques de la seconde guerre mondiale.
Bien que ces ouvrages s'adressent en principe tant aux néophytes qu'aux amateurs plus familiers avec les événements il faut bien reconnaître qu'il faut un gros appétit sur les sujets abordés pour s'engager dans la lecture de ces livres.
Cette caractéristique est encore plus vraie avec cette synthèse générale sur ce conflit tant la densité des faits à l'échelle mondiale a de quoi désorienter le lecteur. Surtout que la bonne compréhension des enjeux et de l'enchaînement des événements requièrent de ne pas rater un épisode. En comparaison le scénario de « Games of Thrones » est d'une simplicité biblique.

Ceci étant dit, on peut s'interroger sur l'intérêt de publier en 2012 un ouvrage de cette nature tant la bibliographie est déjà quantitativement plus qu'imposante. Certes, il est bien indiqué en quatrième de couverture que l'auteur a eu accès à des « archives inédites ». Mais quel ouvrage historique ne revendique pas cette qualité ? Ce qui reste en débat et le restera n'est pas constitué par les faits, qui sont connus, mais par leur lecture et l'option de taire ou de mettre en évidence des phases du conflit.

Or, à et égard le livre de Beevor constitue peut-être, enfin, une avancée dans la réflexion sur la dimension du conflit.
En effet, le chapitre « la guerre éclate » porte sur les mois de juin-août 1939. Chacun sait que l'histoire académique fait commencer le conflit au mois de septembre 1939 qui correspond aux déclarations de guerre de la Grande Bretagne te de la France à l'Allemagne.
L'auteur consacre légitimement un chapitre à ces mois de juin-août 1939 pendant lesquels eut lieu la bataille de Khalkin Gol en Mongolie entre les forces russes et japonaises. Les japonais subirent une défaite cuisante et en définitive ce fut peut-être la bataille la plus importante d'une guerre dont les historiens conventionnels considèrent qu'elle n'existait pas encore. En effet, complètement humiliés et traumatisés les belliqueux chefs militaires japonais décidèrent d'orienter leurs nouvelles conquête vers les colonies françaises, britanniques et néerlandaises du Pacifique Sud, en parallèle avec la poursuite de l'asservissement de la Chine. Dans cette nouvelle stratégie, l'ennemi principal, susceptible de s'opposer à cet impérialisme devenait les USA.
Conséquence de tout ceci, au mois de décembre 1941, alors que les troupes nazies étaient sur le point d'enlever Moscou, les armées sibériennes bien équipées et aguerries aux combats dans des conditions hivernales extrêmes définitivement libérées de la menace nipponne, purent être engagées et réaliser de puissantes contre attaques qui sauvèrent Moscou et sans doute constituèrent un des tournants de la guerre avec Midway, Stalingrad, Koursk et Tunis.

Et si on met en perspective la guerre en URSS où notamment des troupes françaises et anglaises furent discrètement engagées, la sanglante invasion de la Chine par le Japon, la conquête de l'Ethiopie par l'Italie, la guerre d'Espagne, les coups de force de l'Allemagne nazie pour intégrer l'Autriche et la Tchécoslovaquie, « drôle de paix » que cette période 1918-1939. On peut ainsi argumenter pour conclure qu'il y a eu un seul conflit mondial entre 1914 et 1945 ou « au minimun » que s'il y a eu deux guerres la seconde a commencé en 1936 en Espagne. Difficile tout de même de mettre Guernica, Nankin « sous le tapis » et de considérer qu'il ne s'agit pas de drames à dimension planétaire tant sous l'angle humain que militaire qui ne sont pas corrélés avec le brasier qui a été allumé depuis 1914.

Le déplacement du curseur est tout sauf neutre, il oblige de s'interroger sur les stratégies, l'idéologie qui ont présidé aux actions des démocraties occidentales pendant cette période.
Beevor nous offre du Beevor, riche, pédagogique, des développements chronologiques par théâtres d'opération, des premières batailles de 1939 jusqu'à l'apocalypse de Nagasaki et Hiroshima. On n'oublie trop souvent que la guerre ne s'est pas arrêtée le 08 mai 1945 mais au mois de septembre 1945 avec la capitulation du Japon sur le cuirassé Missouri. Entre la capitulation allemande et la fin du conflit il y a eu Okinawa et le feu nucléaire, encore des milliers de victimes, des tragédies indicibles.

L'auteur ne se contente pas d'un diaporama strictement militaire mais évoque régulièrement le calvaire des prisonniers, atrocités commises sur les populations civiles.

Je me hasarderai à formuler deux réserves.

Une première très ponctuelle concernant la stratégie prêtée à Staline en 1945 au sujet de la France. L'auteur semble convaincu qu'il existât un plan d'insurrection communiste. Cette affirmation, au demeurant fort peu documentée, est très décalée avec les événements. En 1944-45 le parti communiste français porté par le prestige des succès de l 'armée rouge et son implication dans la résistance bénéficiait d'un capital sympathie unique. Surtout, il disposait de combattants armés (FTP) qui contrôlaient de facto de larges portions du territoire comme dans le Sud Ouest. S'il y a avait eu un véritable plan révolutionnaire il aurait pu y avoir au moins un début d'exécution. Or, il n'y a pas eu le début de mise en place d'actions dans ce sens ; évidemment si c'était l'armée rouge qui eut délivré la France et fut présente sur le territoire et non pas celle des Etats-Unis les paramètres auraient été différents. L'histoire ne fut pas celle-ci.

Une seconde critique tient à l'absence de véritable conclusion au terme de ce livre de 1 266 pages.

Soixante millions de morts, l'équivalent de la population actuelle de la France, et le nombre est régulièrement revu à la hausse, sacrifiés, martyrisés, en application d'idéologies intolérantes, racistes elles mêmes dynamisées par une crise économique mondiale.
Les survivants et les responsables au pouvoir en 1945 dans leur sagesse et leur traumatisme ont mis en place des gardes fous pour « plus jamais cela ».
Que reste-t-il de ces initiatives ? Quelle est la signification des jugements de Nuremberg ? Qui sont les responsables de cet holocauste ? L'homme est-il condamné à la banalité du mal selon le concept d'Hannah Arendt ?

Le lecteur aurait apprécié une conclusion pour se rassurer ; lire que ces milliers de jeunes hommes, au supplice dans l'enfer tropical de Guadalcanal, sibérien de Stalingrad, brûles dans l'apocalypse de Koursk, étrillés dans le bocage normand, que Jean Moulin et le terrible cortège de ceux morts dans les caves et des files de nuit et brouillard au seuil du Panthéon, selon les mots de Malraux, n'ont pas été massacrés en vain ; lire que les hommes d'aujourd'hui par respect pour ces sacrifices construisent chaque jour un monde plus fraternel où l'intolérance et le fanatisme de toute nature ont été bannis à tout jamais.

Le lecteur aurait rêvé d'une conclusion de cette nature...
Commenter  J’apprécie          94



Ont apprécié cette critique (8)voir plus




{* *}