C’est que, si l’on y réfléchit bien, l’homme a du mal à supporter son ouverture absolue au monde. L’absence de limites lui saute à la gorge et l’étrangle fortement. C’est cette expérience douloureuse de l’abîme sans bord ni fond qui le pousse à refouler continuellement l’espace infini et à se calfeutrer derrière les barrières matérielles et symboliques de sa propre production artificielle. L’homme ne croît et ne prospère qu’à l’intérieur de limites qu’il a lui-même érigées comme autant de murs d’enceinte qui le protègent contre l’indétermination du dehors. Le parcage est la solution pratique à la crainte paralysante de l’Illimité. Parquer les hommes comme des bêtes, c’est avouer par là même le besoin urgent de l’autodomestication.
Le besoin de délimitation configure notre être au mépris de notre désir d'infini.
Peut-être est-il temps de dire, à ceux qui ne l’auraient pas déjà compris, en quoi consiste exactement le ParK. Le principe en est très simple. Son concepteur a voulu rassembler en un seul parc toutes ses formes possibles. Le ParK associe ainsi, en une totalité neuve, une réserve animale à un parc d’attractions, un camp de concentration à une technopole, une foire aux plaisirs à un cantonnement de réfugiés, un cimetière à un Kindergarten, un jardin zoologique à une maison de retraite, un arboretum à une prison. Mais il ne les associe pas de manière à ce que chacun de ces éléments maintienne son autonomie et continue de fonctionner à part. Il les combine entièrement, joint tel caractère à tel autre, jette des ponts, mélange les genres, confond les bâtiments, agrège les populations, intervertit les rôles. Il s’agit donc de mettre en rapport ce qui n’a justement pas de rapport, hormis sa référence minimale au parcage. De là naît un paysage synthétique qui mixe fête foraine et dystopie urbaine, un terrain d’essais pour l’hybridation architecturale et sociale.
En un sens, tous les qualificatifs suivants peuvent à bon droit s'appliquer au ParK : étonnant, horrible, révoltant, merveilleux, capitaliste, totalitaire, impie, bouleversant, cyclopéen, ignoble, américain, utopiste, délirant, mystique, écœurant, éloquent, hypermoderne, inquiétant, impressionnant, vulgaire, nihiliste, stupide, magique, prophétique, extraordinaire, abject, actuel. Mais quels que soient l'idée que l'on se fait de ce lieu, le jugement favorable ou défavorable que l'on émet à son égard, l'impression agréable ou désagréable que provoque aussitôt son évocation, demeure éternellement vrai ce simple état de choses : il existe, et est tel qu'il se présente. Ni plus, ni moins. Il est cependant vain d'escompter que les éclats effervescents de cette architecture imaginaire suggèrent autre chose que de terribles révélations chuchotées à une oreille inquiète par la voix caverneuse d'un être malfaisant. Une fois entreprise, nul ne peut se soustraire à l'épreuve du ParK, et à ses effets perturbateurs sur le long terme. Et tandis que nous essayons de reprendre notre esprit et de le convaincre du caractère somme toute puéril de ces faux cauchemars orchestrés par la main d'un "Entertainer" facétieux, les souvenirs hideux de lectures horrifiques nous reviennent en mémoire et accréditent, sans la moindre hésitation, les premières impressions infâmes. Décidément, l'expérience du ParK ne nous laissera jamais en paix.
"La folie est l'unique voie de la délivrance"
" Sa majuscule signale sa singularité absolue. Ce lieu exprime en quelque sorte l’essence universelle des parcs réels et possibles. C’est le parc de tous les parcs, la synthèse ultime qui rend tous les autres obsolètes. "
C'est tout autant un parc d'attractions que de répulsions.
« Le ParK est comme une histoire sanglante qui nous conte l’horreur et la férocité des hommes sans autre intention de nous les donner à savourer. »