Je lorgnais déjà depuis un bon moment sur cette série les Contes Interdits, relectures des contes de notre enfance, plus ou moins connus. La masse critique tombait alors à pic puisque parmi mes choix figurait Baba Yaga, que je reçu quelques jours après. je remercie donc l'opération ainsi que Babelio pour m'avoir permis d'acquérir ce livre et d'en livrer ici mes impressions.
Et ce n'est pas peu dire que je ne m'attendais pas du tout à ce que j'y ai trouvé. Je partais sur un préjugé fantastique, une relecture dans le même genre autour de la sorcière slave Baba Yaga et ma surprise fut grande lorsque je découvrais au fil des pages une adaptation contemporaine de ce conte ne lorgnant pas du tout vers le fantastique.
Le récit s'articule en quatre chapitres autour d'une poignée de personnages, dont Vassily, protagoniste principal, entrepreneur sur le déclin, en proie à des démons qui ne semblent pas vouloir le laisser en paix, et dont les évènements et les personnes qu'il va vivre et croiser, vont transformer radicalement sa vie, déjà bien morne.
Le premier chapitre présente donc le personnage Vassily, traumatisé par la perte de son meilleur ami dans un accident de voiture dont il se sent en partie responsable. Sa vie est quotidien n'est pas reluisante puisque son couple est au point mort, et ses responsabilités de père également. le projet qu'il avait monté avec son meilleur, et qui devait se concrétiser, est tombé à l'eau mais Vassily s'accroche quand même à son boulot de cuistot dans le resto tenu par le père de son meilleur ami. Ce projet, ce n'est ni plus ni moins qu'un concept de cuisine russe au Québec qui selon lui fonctionnerait d'enfer et lui promettrait argent, bonheur et reconnaissance. Et ce projet lui courre toujours dans les veines ,envers et contre tout, y compris sa petite amie, mère de son fils qu'il fuit, et qui ne voit en lui qu'un loser incapable là où elle attend de lui un emploi stable et rentable.
Vassily est hanté par la mort de son ami, et par son dernier regard dans lequel il pense avoir vu l'âme de celui ci s'échapper. Et depuis cette vision infernale, il cherche désespérément un sens à sa vie; il va même jusqu'à regarder des snuff movie espérant ainsi capter de nouveau ce qu'il nomme l'étincelle dans les yeux, du mourant, de celui qui sait qu'il va mourir, le dernier regard. je rappelle que les snuff movies sont sensés être des films dans lesquels les meurtres orchestrés sont véritables, et les victimes meurent réellement, après avoir subi toutes les tortures et mises à mort imaginées par leurs bourreaux...
Vassily va même jusqu'à se demander s'il ne peut pas lui même devenir bourreau pour assouvir enfin sa "pulsion"... ou simplement trouver sa rédemption. Mais seul le prix exorbitant qui lui est demandé ne lui le permet pas.
En plus de sa vie merdique, Vassily va subir toutes les humiliations possibles, jusqu'au viol, qui vont finir d'achever sa descente aux enfers. Car il s'agit bien là de descente aux enfers, et lorsqu'on pense que Vassily ne peut pas vivre pire que ce qu'il a vécu jusqu'ici, l'auteur s'acharne encore. Oui l'auteur n'est pas tendre avec son personnage, et il y a sans doute bien une raison, qu'on ne peut pas deviner si tôt dans le récit.
Le second chapitre s'articule autour de la rencontre entre Vassily et cette jeune femme Yana envoûtante, mystérieuse, prête à investir dans sa cuisine russe, elle même d'origine russe. C'est la rencontre qui va déclencher tout le reste dans une avalanche d'évènements tous plus horribles les uns que les autres, et que Vassily ne peut que subir, sans jamais pouvoir s'en sortir, obnubilé qu'il est par la réalisation de son projet. L'on comprendra alors le lien qu'il existe entre le titre, Baba Yaga, et ce personnage féminin, que l'auteur se plaît à décrire comme un démon au jeu subtil, mais sans jamais faire le lien direct avec la sorcière slave. Seules certaines allusions (la hutte, les poules) permettront au lecteur de l'identifier. Apparaissent également trois personnages atypiques et singuliers, compagnons de Yana, présentés comme ses "cousins", dont l'entré en scène va amener un autre pan du récit, et pas le plus plaisant.
Si le récit tourne autour de quelques personnages, six pour être exact (on ne compte ni Chris, l'ami, ni Laura, la petite amie, de Vassily), c'est bien parce que chacun a son rôle important et sa place unique dans l'histoire. Ainsi lorsqu'un nouveau apparaît, c'est un nouvel élément de l'histoire qui apparaît avec lui, et les évènements se précipitent, emportant Vassily, et le lecteur dans un cycle de terreur et d'horreur.
Le lieu dans lequel Vassily va être amené pour finaliser le contrat avec Yana, joue également un rôle important puisqu'il s'agit ni plus ni moins que son repaire, mais qui cache bien d'autres secrets.
Les troisième et derniers chapitres vont permettre de compiler tous les éléments connus jusqu'ici et proposer une conclusion. Impossible d'en parler sans spoiler, et ce serait vraiment dommage...
Avec ce livre, j'ai découvert une série et un auteur. l'écriture de
Dominic Bellavance est fluide, et traduit parfaitement bien les ambiances glauques, les personnalités torturées, et/ou monstrueuses des personnages, ainsi que les évènements dans leur dimension nauséabonde. C'est intolérable, inimaginable, horrible, infâme, abjecte. Tous les qualificatifs que vous pourrez trouver pour désigner la monstruosité qui se dégage de cette histoire seront justes.
Mais c'est avant tout l'histoire d'une rédemption, de celui qui cherche désespérément dans la mort et dans les plus bas instincts de l'espèce humaine, un sens à sa vie, mais qu'il ne trouvera sans doute jamais. Vassily est en fuite ( de sa paternité et des responsabilités qui en incombe, de son couple, de sa responsabilité dans l'accident...), et ce sentiment est d'autant plus marqué qu'il s'est inventé une sorte d'alter ego, qu'il nomme Dolly, plus fort, plus confiant, plus sûr, que lui et à qui rien ne semble pouvoir résister. Il vit dans l'illusion de la vie et en cherche les raisons dans la mort.
Il y a d'ailleurs quelque chose de dérangeant lorsque l'auteur place son personnage face à un dilemme moral. Il ne montre aucune culpabilité lorsqu'il regarde des snuff movies, donc des gens en train de vraiment se faire tuer en direct, mais se pose des questions lorsqu'il découvre qu'il est le complice de marchands d'esclaves. C'est cette espèce de hiérarchisation de l'horreur et de la monstruosité qui est gênante et qui pose question...
Le récit est également une vive critique des réseaux sociaux, du net, et globalement de tous ces écrans derrière lesquels on peut aisément se cacher, sans éprouver ni honte, ni culpabilité, ni ressentiment, derrière lesquels on se sent à l'abri, investi d'un pouvoir, et dédouané de toutes responsabilités envers ce que l'on regarde.
Je pense que le coeur du récit se situe bien là, le propos de l'auteur n'en ressortant que plus évident à la lecture de la conclusion ultime de cette histoire.
Ce livre n'est pas à mettre entre toutes les mains, certaines descriptions sont très choquantes...
Voilà j'ai fini...