Quand ils parlent, ils lâchent des bribes comme par accident, livrent des fragments en éclats. Ils ne racontent jamais les histoires en entier. Ils murmurent le début, coupent le milieu, chuchotent la fin, en bégayant. Signe qu’il faut se méfier de leurs fantômes muets. Ils les hantent toujours. Ils rôdent dans nos maisons. Je vois leurs ombres.
Tellement cabossé est le chemin qui remonte à nos sources.
Je trouve amusant que notre nom se noie au milieu de patronymes très vendéens. J'ai trouvé ça amusant jusqu'à ce que je comprenne que l'harmonie entre mon nom et mon lieu de naissance n'est en réalité que pour moi. Encore aujourd'hui il me faut régulièrement expliquer que, l'exil d'après-guerre imposant un voyage à sens unique, il ne m'a jamais été possible de faire connaissance avec le pays de mes parents et c'est pourquoi je ne sais pas répondre à l'identité qu'on me prête.
Je suis nostalgique d'un pays que je ne connais pas. Ou plutôt d'un pays que je ne connais qu'au travers des silences et des récits percés de mes parents...Pour connaitre ce pays, j'ai appris à lire dans les yeux de mon père, à lire entre les bribes que mes parents laissent tomber quand enfin ils cèdent à mes questions.
La colonisation ne se limite jamais à la conquête d'un territoire, elle s'approprie et déforme une langue ainsi que tout ce qu'elle charrie d'histoires collectives et individuelles, de luttes et de rêves, de souvenirs, de silences et de révélations.