J'ai lu en apnée, d'une traite. Pas vite mais concentré.
Les silences des pères m'ont renvoyé au silence subit du mien, l'année de mes vingt-deux ans. Plus rien jusqu'à sa mort, sans raison connue. Notre fils m'a offert ce voyage au pays de la mémoire ; le titre s'était imposé à sa vue, dans une nouvelle librairie, "Le page d'après", comme une évidence, avec l'espoir que j'y glane quelque chose...
"L'enfant est le père de l'homme. Il est aussi le fils du père." Rachid Benzine rend aussi hommage à une génération sacrifiée.
Amine est revu à la cité pour enterrer un père quitté il y a plusieurs décennies. le fils a pris le large à Boston afin d'embrasser une carrière de concertiste, "sans attaches ni contraintes. Sans compagne ni enfant."
L'exil du père était moins prometteur, émigré du sud Maroc - là où les hommes sont travailleurs et dociles - aux mines du nord français, terre de chair à charbon. le travail dans la mine donne lieu à des pages dignes de
Zola.
Amine va découvrir un versant inattendu de son père en écoutant des cassettes audio cachées dans la salle de bain, journal parlé de 1965 à 2006.
" Je m'assois sur banc dans un parc. Je place le casque sur mes oreilles et glisse l'un des enregistrements dans l'appareil. La voix de mon père est désormais très proche."
Il l'entend parler à son père toujours au bled. Amine ne saura jamais si son grand-père répondait au fils exilé, sauf une fois tragique. le fils, à la rencontre d'un père méconnu, reporte son retour, pressé de revenir par une assistante aux abois. Neuf jours durant, il tombe des nues, à dérouler une personnalité insoupçonnée, éclairée des souvenirs émus de compagnons paternels toujours vivants.
Le pianiste touche du doigt la voix devenue atone lorsque le patriarche au Maroc refuse le mariage (à 37 ans) avec une Française.
Puis c'est le mutisme intégral après la mort brutale du frère d'Amine. le père effondré, continue à bosser pour le bien-être de la génération suivante, son unique raison de vivre. Amine en a marre, il largue les amarres.
"La réussite de leur exil ce n'est pas la leur mais celle de votre génération."
Les cassettes défilent, le silence devient assourdissant et lourd de sens. Il prend un tour nouveau, brouille les croyances du fils virtuose sur le retrait de son père, interprété jusqu'alors comme la figure traditionnelle de l'immigré qui courbe l'échine. le père est tout l'opposé, militant, enjoué, solidaire, lecteur et même documentariste à ses heures.
Outre la charge émotionnelle de ces retrouvailles post mortem avec un père lointain, la puissance évocatrice d'une écriture dépouillée m'a tenu en haleine, tant j'espérais qu'Amine parvienne à se réconcilier avec cet homme incompris, tant je souhaitais qu'il reconstruise un sens aux silences des pères, ce que je n'ai jamais réussi avec le mutisme inexpliqué et inexplicable du mien.
J'ai renoncé, j'ai transmuté mon incompréhension en mystère assumé, seule façon de vivre en harmonie avec ma descendance.
Merci mon fils !