Citations sur Le roseau révolté (18)
Depuis ma prime jeunesse, je pensais que chacun, en ce monde, a son no mans land, où il est son propre maître. Il y a l'existence apparente, et puis l'autre, inconnue de tous, qui nous appartient sans réserve. Cela ne veut pas dire que l'une est morale et l'autre pas, ou l'une permise, l'autre interdite. Simplement chaque homme, de temps à autre, échappe à tout contrôle, vit dans la liberté et le mystère, seul ou avec quelqu'un, une heure par jour, ou un soir par semaine, ou un jour par mois. [...]
De telles heures ajoutent quelque chose à son existence visible. À moins qu'elles n'aient leur signification propre. Elles peuvent être joie, nécessité ou habitude, en tout cas elles servent à garder une ligne générale. Qui n'a pas usé de ce droit, ou en a été privé par les circonstances, découvrira un jour avec surprise qu'il ne s'est jamais rencontré avec lui-même.
La maladie a ceci de bon qu'on trouve le temps de lire un bon livre.
Quand le vaporetto descendit le Grand Canal, et qu'à gauche et à droite s'offrit à mon regard la dentelle en pierre des palais, noircie par le temps, je me sentis projetée dans une autre dimension où tout était léger, dentelé, aérien, où l'on ne pouvait, ni d'ailleurs ne voulait plus appliquer à la vie et à soi-même les mesures habituelles, où rien n'était comme avant, l'impossible devenait possible,la lourdeur s'allégeait, le désespoir n'était plus qu'un mélange de tristesse et de joie
Certains ne réfléchissent pas, ils sont heureux.
« Plus les gens prennent l’habitude de vivre ensemble, plus sûrement perdent - ils le besoin de parler d’eux- mêmes » …..
Ils me font pitié ceux qui, en dehors de leur salle de bain, ne sont jamais seuls.
Maintenant, quand une porte s’ouvre ou qu’une fenêtre se relève, les larmes de gratitude ne m’étouffent plus, non ! Je ne profite pas de toutes les occasions, je ne m’incline pas devant toutes les permissions. Après ce que j’ai vu, je n’ai pas envie d’être, en quoi que ce soit, l’animal que l’on met au pas, que l’on dresse, que l’on envoie quelque part, que l’on gave ou que l’on fait mourir de faim, que l’on punit ou que l’on congratule pour avoir bien obéi à la baguette.
Quand le vaporetto descendit le Grand Canal, et qu'à gauche et à droite s'offrit à mon regard la dentelle en pierre des palais, noircie par le temps, je me sentis projetée dans une autre dimension où tout était léger, dentelé, aérien, où l'on ne pouvait, ni d'ailleurs ne voulait plus appliquer à la vie et à soi-même les mesures habituelles, où rien n'était comme avant, l'impossible devenait possible,la lourdeur s'allégeait, le désespoir n'était plus qu'un mélange de tristesse et de joie
Il arrive dans la vie de chacun, que soudain, la porte claquée au nez s'entrouvre, la grille qu'on venait d'abaisser se relève, le non définitif n'est plus qu'un peut-être, le monde se transfigure, un sang neuf coule dans nos veines. C'est l'espoir. Nous avons obtenu un sursis.
Je me souvenais du temps où je regardais Paris avec distance, parfois même avec détachement. Que d'Histoire dans cette ville! me disais-je. Ou: Que de beauté! Ou même: Tant de nature, de ciel, d'oiseaux, de fleurs. Ou encore: Que de monuments et de livres, de tombeaux et de plaques commémoratives. Maintenant je regardais défiler les arbres du quai, me disant cette fois : Combien de souffrances il y eut et combien y en aura-t-il encore, de souffrance russe en particulier, et la mienne!