Dans un quartier d'une Johannesburg alternative, sobrement appelé
Zoo City, vit Zinzi, ancienne journaliste, ex-taularde, qui a cette capacité de retrouver ce et ceux que les gens ont perdu(s). Elle gagne en partie sa vie en ramenant les objets perdus aux personnes respectives et fait des arnaques à la nigériane, ce même type d'arnaque qu'on connaît tous (le coup de la veuve d'un prince africain qui ne sait pas quoi faire des 50 milliards déposés sur le compte de feu son mari et qui vous envoie un mail pour vous demander si ça ne vous intéresse pas). Zinzi est animalée, c'est-à-dire qu'elle a un animal en permanence avec elle, en l'occurrence un paresseux, signe d'une vie pas franchement orthodoxe.
Zinzi va être commanditée par un producteur musical pour enquêter sur la disparition d'une poule aux yeux d'or dans l'une des villes les plus violentes et les plus corrompues qui soient.
Zoo City s'inscrit dans un genre littéraire que je n'ai pas abordé jusqu'à présent, soit la science-fantasy. Il s'agit tout simplement d'un savant dosage entre la SF et la fantasy, genre littéraire que je ne connais absolument pas en dehors du Seigneur des Anneaux et de The Legend of Zelda. Je sais qu'il a ses ramifications complexes, qu'il a ses préjugés et pourtant c'est un genre qui pose aussi beaucoup de questions sur notre réalité. Et quand je dis que je ne connais pas, j'entends par là que je n'en lis pas.
Dans cet univers alternatif, la magie existe sous formes diverses. Zinzi voit des auras lorsqu'elle regarde les gens, ainsi que des fils qui émanent d'eux, fils qui les relient aux objets ou personnes perdues. Et l'apparition d'animaux – symboles de la culpabilité – a quelque chose de déroutant, parce qu'on ne sait pas vraiment comment ça fonctionne, si ce n'est que quelqu'un ou quelque chose sait que vous n'avez pas fait que des bonnes choses. Par le biais de chapitres qui servent d'intermède on en apprend toujours un peu plus sur ce phénomène. Des prisonniers, des criminels, reçoivent en pleine nuit un animal qui s'attache à la personne de telle manière qu'une séparation peut être physiquement douloureuse, et que si l'animal meure, il en va de même pour la personne. Ces animaux semblent donner des pouvoirs à leur symbiote. de ce fait
Zoo City pourrait s'inscrire dans le registre du (post)cyberpunk, avec cette idée d'humains « augmentés » non pas par une quelconque technologie mais par un animal.
Ces humains augmentés dont fait partie Zinzi, les « animalés », subissent un racisme non dissimulé de la part des autres individus qui s'estiment trop propres sur eux pour oser se mélanger à eux. Bien sûr, la réalité est bien plus complexe que ça et, si Zinzi n'est effectivement pas l'incarnation de l'innocence à l'état pur, son commanditaire qui l'a chargée de retrouver une ado popstar n'est pas tout net non plus. Je suis assez amusé de voir que Johannesburg est une ville qui revient de temps en temps dans le champ de la science-fiction ; dans le cas de
Lauren Beukes, on peut aussi citer le cyberpunk
Moxyland, mais on pourrait prendre l'exemple de District 9, réalisé par Neill Blomkamp et co-produit par
Peter Jackson et Carolynne Cunningham, ou encore Chappie, du même réalisateur et produit par Simon Kinberg. A chaque fois, la ville paraît comme une dystopie ultra-violente, corrompue et raciste… Un peu comme elle l'est en réalité. le fait est que
Lauren Beukes et Neill Blomkamp y vivent ou y ont vécu, et leurs oeuvres, sous couvert de la science-fiction, sont des satires assez marquées et marquantes de la ville.
Zoo City est un roman extraordinairement fabuleux. Zinzi est un personnage très poignant, qui marque les esprits, de part sa grande gueule et son insolence, elle est l'archétype du anti-héros hard-boiled. Tous les personnages semblent issus d'un monde mi-onirique, mi-cauchemardesque (et re-mi-onirique derrière). le plus important d'entre eux, la ville elle-même, est hallucinée, crade, violente, brutale, totalement dystopique. du propre aveu de
Lauren Beukes, le personnage principal du roman est bien la ville de Johannesburg, et on sent son horrible haleine et sa respiration entre les lignes, d'un chapitre à l'autre.
Je déplore toutefois un manque de rythme. En effet, le roman va vite, sans jamais vraiment avoir de moments calmes. Et confondre rythme et vitesse n'est jamais une bonne chose. Quoi qu'il en soit, il faut vraiment être attentif à la lecture, ne pas faire comme je fais parfois, lire un peu en diagonale, car certaines ellipses passeront pour être obscures. Cela dit, la ligne directrice du roman est tellement claire que ça reste facile de comprendre le chemin parcouru par Zinzi, même pour qui lit un peu trop vite. Car oui, la structure du récit reste des plus classiques. Ouf.
J'ai lu des chroniques comparant
Zoo City à La Croisée des Mondes, pour ce concept de familiers attachés aux humains. La comparaison s'arrête là. D'autres, comme le Coffee's Corner, lui reproche un manque de profondeur, de noirceur, de crasse, concluant que c'est un roman jeunesse (l'un n'empêche pas l'autre… Mais il s'avère que
Zoo City ne relève pas de la littérature jeunesse, très loin de là). Non, ce n'est pas de la urban-fantasy brute, en dépit de la magie qui règne dans ces pages et ce monde alternatif. Ce n'est pas de la jeunesse non plus. C'est un roman adulte, science-fantasy, cyberpunk, polar, regard critique d'une ville dont le seul nom est un synonyme de violence.
J'ai l'impression de sortir d'un cauchemar poisseux, une fois le roman terminé, ce genre de cauchemar qui donne de la fièvre et l'envie de rester au lit, avec les pires images qui reviennent en boucle. le fait est que ce cauchemar-là, on en remangerait bien, masos que nous sommes. de la même autrice, tant qu'à faire. Genre… avec
Moxyland.