La première fois que j’ai vu un condamné à mort, ce n’était pas sur Internet, c’était dans une prison de très haute sécurité. J’avais tellement peur que j’en étais enrouée et que je n’arrivais pas à tenir mon stylo pour prendre des notes. Vous croyez que je fais ça depuis toujours ? Oh non ! Je suis une fille de Baltimore issue de la classe moyenne. Mes parents étaient profs de lycée. J’ai travaillé dans le droit du pétrole à Washington pendant dix ans. Deux enfants, une jolie maison à Arlington… Mon mari est mort d’une crise cardiaque à quarante ans. Un jour, mon fils m’a parlé d’un garçon dont le père était condamné à la chaise électrique en Virginie. Il m’a demandé si je voulais bien l’aider. Je n’allais tout de même pas lui dire non ! Une chose a mené à une autre, j’ai bossé comme une tarée, j’ai décroché un sursis, et il a été rejugé et condamné à perpétuité.
Mes clients sont bien plus ordinaires que ce que vous imaginez. La plupart d’entre eux ont grandi dans des foyers pauvres et violents. Ils savent à peine lire et écrire. Ils sont drogués, alcooliques… Certains d’entre eux étaient mineurs au moment des faits, et la Cour suprême ne voit pas d’objection à les exécuter. La moitié des condamnés à mort sont noirs, et ça non plus, ça ne gêne pas du tout la Cour suprême. Du moment que le prisonnier a eu un procès équitable, ça ne lui pose pas de problème de refuser d’examiner la demande d’un condamné qui clame son innocence, mais qui peut me dire ce qu’est un procès équitable ? J’ai vu des flics mentir, des témoins se tromper, et des avocats de la défense s’endormir en pleine audience. Tuer des gens pour faire baisser la criminalité, ça ne marche pas, ça n’a jamais marché et ça ne marchera jamais,mais ça fait du bien.
Pour l’amour du ciel, on ne dit jamais à un parent que le client est innocent ! On n’aborde même pas le sujet. Les gens s’attendent forcément à une libération, et si ce n’est pas le cas, ils risquent fort de vous en vouloir terriblement. Tout ce qu’elle peut espérer, c’est qu’il y ait un nouveau procès. Si Kenny se retrouve avec un avocat qui n’est pas complètement demeuré, il a peut-être une chance.
C’est drôle comme on arrive à se convaincre de tout et de n’importe quoi par nécessité. J’ai pensé à mes enfants, à ce qui se passerait si j’allais en prison. Quand l’avocat de Kenny m’a appelée pour me demander de témoigner, j’ai refusé. Je lui ai dit que je croyais Kenny coupable, et j’en étais vraiment persuadée.
Quand une femme est assassinée, la police s’intéresse toujours d’abord à l’homme dont elle était proche.