Citations sur Le chien de Mao (17)
Et puis le temps ne s’use plus. Il n’a pas de relief. Il est durée insipide, stagnation infinie, marécage sur lequel Jiang Qing flotte comme privée de sens. Sait-on encore si elle existe, si elle vit ? Elle-même, malgré les battements de son cœur, l’ignore. Elle gît hébétée dans la grande flasquerie, dans l’oubli de ce qu’elle est
Si l’on me hait tant, se dit-elle, si l’on me fait tant haïr, c’est que j’existe encore. Et si j’existe, pourquoi ne retrouverais-je pas un premier rôle, une tâche à ma taille ?
En Chine, quand on vous reçoit, on vous reçoit, même si vous êtes le plus infâme des truands.
Elle est un joyau couvert de joyaux, sa garde-robe est fabuleuse, elle court les grands couturiers de l’univers et ses petits pieds ont besoin de centaines de chaussures. Son mari est béat, il ne gouverne que pour satisfaire ses désirs et ses caprices. Elle a une cour, des favoris, elle fait tomber des têtes. Elle est la garce au pouvoir, fardée, rieuse, amusante, terrifiante. La « Rose Carnivore ».
Désormais Jiang Qing est inféodée à ses rêves de gloire. Elle se veut une grande dirigeante, le successeur de Mao, même si celui-ci ne lui a toujours pas remis son héritage ; elle est la femelle qui a dompté les mâles, qui les a subjugués, qui matera bientôt un Mao tombé dans la sénilité ; elle est aussi la princesse adonnée aux délices de ce monde, si haut placée qu’elle peut satisfaire toutes ses envies.
La vie, c’est un remue-ménage en bocal ; la mort, c’est le « ouf ! » de soulagement des soignants et des soignantes débarrassés d’une agonie encombrante.
Quand on a de grands desseins, le temps n’a pas d’importance. Inexistante est la coulée des secondes, de milliards de secondes, si l’on garde gravée en soi la conscience de sa destinée.
Assez de la regarder se sucrer de mignonnesse pour le séduire quand ne le charme que ce qu’ils ont en commun, ce fond brutal, meurtrier même, qu’exige l’art du succès. Qu’importent ses sales accointances, ses dégoûtantes simagrées, son passé de retournements et de perfidie, puisqu’il la veut elle, et plus encore la douceur chaude et un peu rugueuse de son con.
C’est trop de temps perdu à singer l’amour quand elle n’a jamais aimé personne, même pas lui. C’est se comporter en midinette, en petite poule ballottée par les humeurs au lieu de forcer le sort. C’est alimenter les ragots, ce dont elle n’a vraiment pas besoin.
Comme ils s’emboîtent, comme ils s’ajustent, en vieux partenaires, en vieux complices pour qui l’amour est une merveilleuse habitude ! Comme leurs corps se reconnaissent ! Plaisir du familier, du consacré… Une douceur entre eux…