Citations sur L'Esprit de famille, tome 2 : L'Avenir de Bernadette (14)
J'ai toujours eu besoin d'une certaine solitude.
Ce que je cherche, c'est le moment où l'on sent que vous rejoint sans hâte, apprivoisé, comme un autre soi-même avec lequel on est d'accord et bien.
En quelque sorte, ce moment où on peut enfin se poser dans son ombre. Et d'ailleurs, ne dit-on pas "se rassembler", "se retrouver", tous ces mots que j'adore parce que c'est un peu comme se prendre dans ses propres bras.
Au-delà d'un certain point, personne ne peut vraiment rien pour nous. Mais si on le sait et qu'on se cale les uns aux autres, c'est déjà moins déchirant.
Et voilà peut-être le lien le plus fort entre les hommes : d'avoir compris que finalement chacun est seul.
Il y a des gens que la souffrance enferme en eux. Ils deviennent rancuniers. Ils en veulent aux autres d'être heureux. Et il y a ceux, au contraire, qu'elle ouvre aux autres.
Sais-tu, m'a-t-il raconté, qu'il y avait autrefois, en Méditerranée, un poisson appelé "le cœur" ? Le cœur vivait près de la côte, sous les rochers. Il sortait rarement. Il n'était pas méfiant. Quand on le harponnait, il ne se défendait pas. Il ne tentait pas de s'enfuir. La race est en train de disparaître. L'enfant heureux est comme "le cœur". Il ne voit pas le pêcheur. S'il reste sous son rocher, il risque d'être mangé.
Et moi j'ajouterai aussi une chose, conclut Cécile. La vie est une saloperie d'injustice.
Nicole a quarante-six ans.
[...]
Ce qui frappe en elle, c'est son amour de la vie. Rien ne l'en a jamais découragée. Quand une journée agréable l'attend, elle fait sonner son réveil à cinq heure et reste couchée, les yeux ouverts sur les moments à venir, les savourant d'avance.
"La souffrance, est-ce que c'est obligé ?"
Le regard de maman m'enveloppe. Je me détourne. Je fixe l'endroit où Tracy se tenait hier et j'entends son désespoir. Au plus profond de moi.
"Si je te promettais que tu ne souffriras jamais, je te mentirai, dit maman d'une voix douce. Tu le saurais très bien d'ailleurs et tu aurais encore plus peur. Regarder la vie en face, c'est ça ! C'est se dire que parfois c'est un combat. Mais qu'on s'en sort !"
Je me lève. J'en ai assez. Ma mère vient de m'annoncer qu'un jour je souffrirai. Qu'elle puisse seulement en accepter l'idée me bouleverse et me révolte. Un jour, j'ai été une enfant dans ses bras. Un jour, elle m'a protégée de tout.
Peur ? Au contraire ! Elle va voir !
Il faut bien qu'un jour tu apprennes à te diriger toute seule ! C'est un peu comme pour conduire. On t'a montré les vitesses, le frein, l'accélérateur. On t'a expliqué les règles, les risques. Un jour, c'est toi qui prends le volant !
- Et me balance dans le fossé ...
Charles m'a laissée parler et c'est bien vrai que l'homme est égoïste! C'était Bernadette le sujet important et je n'ai parlé que de moi : MA peine, MA solitude, MON corps ! Ce qu'on doit prononcer le plus souvent dans sa vie, c'est bien ce pronom possessif; ajoutez-y la première personne du singulier alors qu'on est des milliards et vous comprendrez pourquoi tout le monde se tire dessus.
-Alors un peintre, dis je, il utilise tout son cerveau?
Nicole aquiesce:"Comme tous les véritables artistes. Il est à la fois tout là haut et bien en bas! J'en ai connus.Je les jugeais autant à leur cuisine qu'à leurs tableaux!"