HéritageMiguel Bonnefoy
roman
2018, 207 p, Rivages
C'est un court roman ; on le déguste comme un café serré dont l'arôme est puissant et qui donne une impression d'intensité dans la tasse.
Miguel Bonnefoy est un raconteur d'histoires, un conteur, et répond à la première aspiration des lecteurs : le plaisir de se faire raconter des histoires, et quelles histoires, de celles qui nous emmènent ailleurs, de par leur contenu et la langue avec laquelle elles sont contées. L'auteur, franco-vénézuélien et de père chilien, établit un pont entre l'Europe et l'Amérique du Sud, et
Garcia Marquez doit l'écouter et exhaler des souffles odoriférants de réalisme magique.
L'intérêt ne faiblit jamais. L'imagination est riche. D'un style hyper nerveux, avec des comparaisons exotiques, le narrateur construit une histoire sur quatre générations, avec des personnages au tempérament fort, et qu'on ne manque pas de remarquer.
Le premier des personnages vient du Jura, d'où son nom de Lonsonier, avec un pied de vigne et débarque par hasard à Valparaíso à la fin du XIX°. Son fils aîné part en France la fleur au fusil avec ses deux frères à la guerre. Il en revient sans eux et un poumon en moins. Et surtout avec une énorme culpabité, celle d'avoir causé la mort d'un jeune Allemand qui l'avait informé d'une offensive contre la tranchée française. de retour au Chili, il trouve remède à ses souffrances en rencontrant une jeune fauconnière, fille d'un marchand de parapluies bordelais. Ils font une immense volière et une fille qui naîtra dans cette volière et servira son pays d'origine en étant aviatrice. Elle perdra dans un combat son ami le plus cher. Elle revient brisée. Une nuit le fantôme du soldat allemand apparaît, à qui elle s'unit. le fruit de cette étrange union sera un révolutionnaire torturé par les sbires de Pinochet. Il partira en France avec, comme le patriarche, un pied de vigne dans la poche et un cahier dans lequel il raconte ses tortures.
C'est une histoire de déracinés, qui n'appartiennent pas vraiment à un seul pays, qui font l'aller-retour entre deux continents.
Mais l'histoire cède le pas à la manière de la raconter. Les phrases sont rondes, charnues, et courent avec légèreté vers une suite. Les personnages secondaires sont tous intéressants. de plus, le narrateur s'appuie sur l'omniscience et la récurrence ; il informe brièvement le lecteur d'un avenir plus ou moins proche, et crée un effet d'attente.Le narrateur éprouve du plaisir à faire entendre des mots d'espagnol, termes culinaires ou phrases faciles à comprendre par tous, mais on trouve aussi quelques paroles en yiddish. Mais surtout le lecteur subit le charme à la fois du lieu, des savoirs occultes, de potions magiques, du pouvoir des plantes, de la poésie qui imprègne descriptions -le crépuscule avait la couleur des gencives de pumas-, portraits, actes de soins exotiques et sorciers. Tout est vivant, et tout participe au bruissement du monde. le lieu est plus qu'habité, et comme la colline, inspiré. On est plongé dans un merveilleux et on se laisse captiver. de toute manière, il n'y a pas moyen de résister.
Si j'étais restée un peu sur ma faim avec
Sucre noir, je suis conquise par
Héritage. La dédicace de ce livre m'intrigue. Est-ce qu'une suite du roman est annoncée, ou la suite, c'est Bonnefoy lui-même, partagé aussi entre deux continents?