Citations sur Sang mentir (45)
Les émotions accumulées ces derniers jours lui pèsent sur les épaules et la nuque, elle ressent une fatigue immense, ses yeux se ferment, elle lutte contre un irrésistible besoin de s’allonger sur un lit, de plonger dans un profond sommeil et d’oublier à jamais ces heures sombres.
Le fait qu’ils ne soient pas ses vrais parents, comme elle l’affirme haut et fort, ne change rien à la procédure. Il faut du temps pour mener l’enquête, exhumer les ossements de ses parents biologiques, effectuer les contrôles ADN, puis elle devra encore attendre la constitution d’un conseil de famille qui nommera le tuteur chargé d’assurer sa vie quotidienne et de protéger son patrimoine. Le problème est que le foyer le plus proche est distant d’une centaine de kilomètres et qu’elle ne verra plus ses amis. Le capitaine donne plusieurs coups de téléphone aux administrations compétentes pour savoir ce qu’il doit faire d’elle.
Elle le regarde mourir avec une étrange froideur, comme elle regarderait agoniser le méchant d’un film ou d’une série, un détachement à peine teinté de compassion. La peine viendra peut-être avec le temps. Il lui semble percevoir des regrets dans les yeux de plus en plus troubles de celui qui fut son père, et cette image qu’elle gardera de lui l’aidera sans doute à pardonner. La vie se retire de lui avec discrétion. Il s’arrête de respirer, et ses traits se figent, étonnamment détendus, comme s’il était persuadé qu’elle n’emporterait pas de lui un souvenir trop horrible.
« On ne peut rien contre l’amour, reprend-il. J’aurais tout donné pour elle, j’aurais tout plaqué pour elle. Le malheur a voulu qu’elle en préfère un autre.
Les religions parlent de paradis ou d’enfer. Elle n’y croit pas vraiment, mais, en cette nuit, dévorée par une terrible, une lancinante envie de vivre, elle essaie de s’imaginer au paradis ou en enfer, goûtant un bonheur ou un malheur sans fin.
Elle prend conscience de ce que signifient ces mots, et ses yeux s’emplissent de larmes. Elle ne s’est jamais intéressée à la mort. La mort lui apparaissait comme une figure tellement lointaine qu’elle en devenait abstraite. Bien sûr, elle a entendu parler de guerres lointaines, de catastrophes naturelles et d’attentats meurtriers où de nombreux êtres humains perdent la vie, mais personne de son entourage proche n’a été touché, et la mort n’a jamais occupé chez elle une place concrète.
Odeline se retient de respirer, de peur de ne pas pouvoir contenir la panique qui monte en elle à la vitesse d’un cheval au galop. La lumière des éclairs s’engouffre dans l’étroit espace et révèle par intermittences un autre escalier, étroit et en bois celui-là. Novak s’y aventure avec prudence, le revolver toujours braqué devant lui. Les marches craquent sous son poids. Le tonnerre est un précieux allié : sans lui, il leur aurait été difficile de s’introduire dans les lieux en toute discrétion.
Ce n’est pas l’âge qui compte, mais la détermination.
Elle ne peut pas l’imaginer en colère, comme s’il était incompatible avec ce genre d’émotion, comme s’il faisait partie de ceux qui traversent l’existence avec une grâce et une bonté irréelles – June se trompe quand elle affirme qu’il est comme les autres.
Ce sera plus facile si nous réglons d’abord nos affaires entre nous. Rien n’empêchera ensuite les parents de porter plainte contre Lino. Il s’est placé dans une situation dont il ne pourra pas se sortir. Ma plus grande crainte est qu’il réagisse en bête traquée.