Tu te rends-compte, quand tu es vieux, que chaque fois que tu fais du tort à quelqu'un, c'est contre toi que tu travaillais !
le soleil passait derrière le sommet de la montagne qu'il incendiait, découpant la dentelle des crêtes rocheuses dans un miroitement de couleurs rares... Grégory sourit. A la Neuville, un tel soleil aurait fait dire à Valentin : " va falloir penser à lever tôt demain. Le beau temps est là, un temps de moisson !"
La semaine passa, interminable. Valentin plantait ses pommes de terre, mais il devait s'asseoir souvent. Ses jambes lui faisaient toujours aussi mal, il pouvait difficilement se courber sur les sillons.
Chaque fois que quelque chose le dépassait, il fuyait.
Tourner le dos à la difficulté suffisait à la supprimer momentanément.
A quoi bon continuer à vivre pour n'essuyer que rejets, pour être toujours mis à part ?
Chez les Lesmonnier, on ne parle et on ne se dispute que pour des choses superflues ; les autres, celles qui pourraient remettre en cause l'ordre établi, sont bannies.
Il n'y a qu'une seule maison neuve, celle des Lombet, mais ils parlent de s'installer à Brive. je te dis , le pays meurt, et, dans vingt ans, il n'y aura plus personne à la Neuville.
- Non et non !
Valentin Lesmonnier était assis à table, la tête baissée. Onze heures sonnèrent. Sur la cuisinière, le bouillon débordait de sa casserole et tombait en grosses bulles. De la porte entrouverte, on entendait les poules caqueter. Le soleil brillait, le vent du sud apportait le printemps. Pierrette, debout, faisait face à Valentin qu'elle dominait de son corps massif à l'étroit dans un tablier bleu à fleurs blanches.- Écoute, Valentin, elle est malade, et c'est grave !- Et qu'est-ce que ça change ?- Ça change qu'il faut oublier le passé ! Grégory est ton petit-fils !- Peut-être, mais quand même...Il secoua sa grosse tête chauve entourée d'une couronne de cheveux blancs. C'était un homme sanguin, tout en rondeur, les bras lourds, un estomac volumineux tendait sa salopette bleue. Des joues pleines, un front bombé traversé de rides profondes, un nez un peu empâté sur une moustache grise, des petits yeux noirs d'animal sauvage dénotaient la détermination et l'entêtement de ceux qui n'obéissent qu'à leur volonté. Le regard toujours posé sur la nappe à carreaux jaunes, il dit d'une voix sourde :
- Moi, j'ai pas oublié !
- Mais c'est pas pour elle qu'elle demande quelque chose, c'est pour son fils, Grégory !
- Il a bien un père ! Elle n'a qu'à le lui donner !
- Enfin, son père, tu sais bien que...
Pierrette s'impatientait. Elle non plus n'avait pas oublié, mais l'appel au secours de Nathalie ne pouvait pas rester sans réponse , d'ailleurs, sa décision était prise, elle avait déjà écrit à sa fille et Valentin ne pourrait rien y changer.
- Le passé ne compte plus ! dit-elle, déterminée. Il secoua de nouveau la tête, sombre. Avec les années, le poids de ses propres torts était de plus en plus lourd, et c'était pour cela qu'il en voulait tant à sa fille.
Entre ces belle planches vernies reposait l’horreur, le corps mutilé de sa mère. Il aurait voulu pouvoir la rejoindre, mourir à son tour, car devant ce cercueil, au milieu de ces quelques personnes, cette famille qu'il se découvrait, il prenait conscience de sa solitude.
_ Non et non !
Valentin Lesmonnier était assis à table, la tête baissée. Onze heures sonnèrent.Sur la cuisinière, le bouillon débordait de sa casserole et tombait en grosse bulles.De la porte entrouverte, on entendait les poules caqueter. Le soleil brillait, le vent du sud apportait le printemps.