Citations sur Brutale (46)
Depuis presque une année, ils écument les stations d'essence et les aires de repos des autoroutes qui alimentent la capitale de son flux d'humains. Ils opèrent la nuit, entre vingt-trois heures et quatre heures, rôdant sur les immenses terre-pleins entre les voitures des Hollandais et les camions roumains, à la recherche du véhicule esseulé. Parfois un couple d'amoureux, un VRP en recharge d'énergie et, souvent, un camping-car, petit havre de paix, chez-soi transportable d'une famille voyageuse.
Les quatre hommes viennent de pénétrer dans un immeuble aux fenêtres murées de briques grises voilées de pluie. Ils ont emprunté une ouverture de cave qui passe entre deux tertres d'herbe sale, une bouche emplie d'ombre qui les avale un à un.
On les appelle les violeurs de l'autoroute. Eux doivent se considérer comme des pirates des temps modernes.
Le Monstre se redresse, un éclair déchire la nuit en même temps que le tonnerre secoue l'univers, se reflétant sur la laque de son casque noir. Il se laisse glisser le long d'une gouttière pour atteindre le goudron luisant et s'accroupir.
Le corps recouvert de cuir noir voûté sous la pluie, les mains en crochet devant elle et la salive sèche au bord de la gorge comme un appel à la faim, la Bête ressemble à une bête. Mais, dans sa tête, elle préfère se traiter de Monstre
Ses doigts caressent doucement la tige de coffrage en acier de quarante centimètres de long qu'elle a glissée dans sa botte. Sa matraque préférée.
Sur la terrasse d'une ligne de garage, la Bête regarde leurs silhouettes trembler dans l'orage. Seul le haut de son casque de moto dépasse du petit muret derrière lequel elle se cache. Les gouttes dégoulinent sur sa visière à demi fermée comme des petits serpents transparents. En levant le regard, elle peut voir ses yeux se refléter dedans, et dans ses yeux, elle voit la nuit.
Sa propre nuit.
Les portières de la camionnette claquent et quatre hommes en sortent, parlant fort et riant. Le premier porte un sac de voyage, ceux qui le suivent tirent des valises à roulettes et le quatrième a entre les bras un carton d'où dépassent des bouteilles.
Ce soir, ils vont faire la fête.
La nuit tombe – la nuit qui n'est pas noire mais bleue comme les veines d'une enfant gelée –, traquée par les projecteurs des parkings déserts, le brasier orangé de l'aéroport au loin, la lumière des rampes d'autoroute, des petites bases pavillonnaires, des lampadaires de la banlieue.
LES FEUX ARRIÈRE des centaines de banlieusards coincés dans les embouteillages forment des filets de sang sur les hauteurs de la ville. Partout des blocs de ciment, de béton, partout des cités. Partout, ce froid mordant, coupant, traître, qui fait pleurer et brûle les narines.
Son cerveau s'était mis en mode « combat », technique du krav maga que lui avait enseignée un des maîtres en France, Éric Benhamou, de Nice. Tout en se rapprochant, Lise cherchait la faille, le point sensible, ainsi que l'objet qui pourrait lui être utile. L'homme aux doigts cassés comprit que quelque chose n'allait pas. Elle arrivait trop vite. Il commença à reculer tout en tendant vers elle une bombe lacrymo de grand format.