Elle passa la main sur son front, s’obligeant à respirer avec lenteur pour chasser le cauchemar qui pulsait encore dans chacune des fibres de son corps. Elle se leva sans bruit.
— Que t’arrive-t-il ? murmura Salim près d’elle.
— Un mauvais rêve. Je vais marcher un peu. Pour oublier…
— Je viens.
Ce n’était pas une question ni même une proposition. Aussi silencieux l’un que l’autre, ils s’éloignèrent du tas de cendres qui rougeoyait toujours. Ils n’avaient pas fait trois pas que la voix d’Edwin s’éleva. Parfaitement éveillée.
— Ne dépassez pas la limite des arbres.
Puis celle d’Ellana. Gouailleuse.
— Ni les autres.
Salim n’eut pas le temps de trouver une réplique.
— Les limites exister pour être dépassées !
— Et si vous fichiez la paix à ces jeunes gens ?
Chiam et Erylis ! Son cauchemar eût-il été moins prégnant, Ewilan aurait éclaté de rire.
La jeune fille se tenait devant la rivière. La force qui la maintenait debout, la certitude qui l'entraînait vers l'avant, était en train de disparaître, remplacée par une nouvelle conviction. Elle allait mourir, là, au bord de ce cours d'eau inconnu.
Elle ne verrait pas le matin.
Le monstre qui tissait sa toile dans son corps était plus fort qu'elle.
Aquarelle nicha sa tête dans le cou de sa maîtresse, souffla dans son oreille. Un souffle chaud. Un murmure. Un espoir.
L'Imagination est une dimension. L'Amour en est une autre. Tellement plus grande.
J'ai vécu longtemps, beaucoup lu, étudié, pensé. Je sais désormais que je sais rien.
- C’est sans doute normal, lui accorda-t-il. La méduse est un monstre tandis que la sorcière n’a pas toujours été méchante, non ?
- Eh bien… Je t’avoue que je ne me suis jamais posé la question.
- Moi oui et je crois qu’un jour elle a dû aller dans la même Académie que toi, avoir des amis, rire avec eux, se trouver un amoureux. Elle a beau être très méchante, elle reste une personne.
Salim la serra contre lui. Il ne supportait pas de la voir souffrir ou s'inquiéter. Il avait besoin de son bonheur comme d'autres ont besoin d'oxygène. Elle devait être heureuse pour qu'il vive, c'était aussi simple que cela.
"L'acier d'Edwin trouva le défaut de l'armure de vargelite et s'enfonça jusqu'à la garde dans le flanc du légionnaire qui s'écroula, mort avant d'avoir touché terre."
- Il est inutile de chercher à deviner les projets du Dragon ou ceux de la Dame, Illian. Ils vivent au-delà de la compréhension des hommes et nous ne serons plus que des souvenirs qu'ils continueront ainsi.
- Parle pour toi ! s'exclama le petit garçon en haussant les épaules. Moi, je n'ai que huit ans !
Salim éclata de rire.
- Bien vu, Illian. Ewilan est une grand-mère qui pense que tout le monde est aussi vieux qu'elle !
- Ça c'est pas vrai, s'insurgea Illian. Ewilan n'est pas vieille, elle est bemme et quand je serai grand, je...
Il se tut, prenant conscience des regards attentifs et vaguement amusés braqués sur lui. Ses joues devinrent écarlates.
- Et quand tu seras grand ? insista Salim, impitoyable.
- Je... euh... je...
- Oui ?
- Quand il sera grand, intervint Ewilan, il n'abusera pas de son expérience pour écraser plus jeune que lui !
Salim comprit le message et, sagement, ne s'obstina pas.
Lorsque tu entres dans un lieu inconnu, tu es la cible de tous les regards. Ceux-ci se détournent ensuite quelques secondes avant de revenir sur toi pour ne plus te lâcher. Ces secondes durant lesquelles tu es invisible sont les secondes du marchombre. Elles sont ton temps, ton monde, ta liberté.
Envol irrésistible
Lame nue au tranchant ardent
Promesse.