A bord de l'Ouragan, tome 1 : Le trésor perdu

Celle que l’on appelait « la reine vierge » – car elle ne s’était toujours pas mariée –, assise sur son trône,répandait autour d’elle l’exubérance des tissus de sa robe lamée d’argent. Ses épaules nues réverbéraient un peu du gemmail des fenêtres, irisant avec bonheur cette peau qu’elle avait fort blanche et dont elle masquait les taches de rousseur avec davantage de blanc encore. Sur un maigre décolleté des plus pudique – qui sied à une reine dévote –, un collier alternait perles et opales.
Le Français ne l’estima point aussi belle qu’on ledisait. Au contraire, il la trouva presque laide avec son visage étroit, ses sourcils rasés – ou peut-être étaient-ils si pâlots qu’ils restaient invisibles –, ses yeux trop globuleux et d’un marron trop conventionnel pour une souveraine. Quant à son nez, il était à la fois long et camard. Ses lèvres dégageaient une certaine sensua-lité, certes, mais il fallait en donner crédit au fard qui les colorait et dont le carmin se mariait au roux de sa chevelure.

Mon père n’est point tout à fait de cet avis. Selon lui, avant de mettre pied à terre, les Espagnols vont tenter de réduire l’ Ouragan à l’état de minces éclisses. Ce qui le contrarierait comme de raison. C’est pourquoi,même si la caravelle n’est guère encore à portée de tir, Mobango lui envoie la volée. Pour la retenir au large.Autour de l’ Ouragan, le radoub n’est point terminé.
Des antennes attendent encore d’être halées sur les mâts, des voiles ne sont qu’à demi enverguées, des manœuvres appellent à être rabantées… Toutefois, la carène est prête à recevoir la marée. Même si l’étanchéité des coutures n’est point tout à fait assurée.

Ce trésor existe bien, sieur de Valdoie, j’ai reçu trop de rapports le confirmant. Et s’il s’avère aussi fabuleux qu’on le prétend – ce que je crois également –, il représentera le prix de votre liberté. Avec un navire affrété aux frais de la couronne anglaise, avec des lettres de marque vous autorisant à pratiquer la course contre tout bâtiment arborant des pavillons ennemis de notre royaume, trouvez le trésor perdu de Cape-rouge. La moitié qui vous reviendra paiera de retour toutes vos peines et celles de votre équipage, soyez-en certain. Le reste appartiendra au trône d’Angleterre.

Mange-Cœur avait vingt-huit ans.Il était beau.Pourtant, de lui, on disait qu’il avait un groin de porc, des dents de tigre, des griffes de loup et bien d’autres attributs généralement dévolus aux bêtes féroces, car l’imagination des Espagnols s’enflammait à l’énoncé de son nom.

De respirer à travers un filtre en taffetas, madame,est une bénédiction qui m’évite d’absorber l’air vicié par les miasmes des papistes.