A Tchoudov, on savait que, pour la punir d'avoir épousé un étranger, Staline l'avait privée de la possibilité de faire du cinéma, de jouer du théâtre, et de façon générale l'avait exilée de Moscou. Elle avait tout perdu. Mais si on tentait de la plaindre, si on la qualifiait de pauvre et malheureuse, Ida répondait avec un petit sourire glacial : " le bonheur, ça fait grossir."
Cette femme de petite taille à la voix un peu roque fumait des cigarettes Troïka, portait un tailleur-pantalon, et disait qu'un véritable artiste, qu'il soit écrivain, bourreau ou menuisier, devait obligatoirement avoir dans les veines une goutte de sang bleu et froid : " Le sang rouge et chaud fait tourner la tête, il donne naissance à des images et à des idées, et il mène parfois jusqu'à la folie. Alors que le sang bleu et froid, c'est la maîtrise, c'est la retenue, c'est le calcul, c'est ce qui oblige l'artiste à considérer son ouvrage d'un oeil critique, à supprimer le superflu et à rajouter l'indispensable . Le sang bleu, c'est le jugement dernier de l'artiste sur lui-même. Il ne suffit pas d'apprendre à écrire, il faut apprendre à biffer. L'inspiration sans la maîtrise ne vaut rien. Et enfin, c'est ce qui donne à l'artiste du pouvoir sur les spectateurs ou les lecteurs. Il faut savoir où frapper le spectateur pour le blesser réellement, sans pourtant le tuer. Mais le sang bleu, c'est aussi une malédiction... parce que toute maîtrise jette un froid... Toute maîtrise est glaçante..."
Un acteur, il parle, et ses paroles, ces mots prononcés à voix haute, c'est cela, sa création, c'est la vie en soi, la vie qui est toujours davantage que le littérature ou la peinture. Une parole qui retentit et une image qui s'envole sont l'équivalent de la vie, et c'est là que réside la justification de l'acteur, qui crée à la frontière entre Maintenant et Toujours.
On dit qu'elle aimait le capitaine Kholoupiev.
Il voulait l'épouser et l'emmener dans une contrée lointaine où les souffleurs de verre façonnent de leur souffle les plus beaux couchers de soleil du monde, et où les hommes allument leurs cigarettes aux sourires des femmes.
Une idée, voilà ce qui sauve ! Il faut avoir une idée, un rêve, alors on reste libre dans la plus terrible des prisons. Concentre-toi sur une idée !
Mais seul un véritable artiste est de taille à créer un vide tel qu'une étoile s'y allume toute seule.
Arrivés à un certain âge, les frères Iakov et Ioann avaient passé un examen pour devenir bourreaux de plein droit. Il fallait pour cela ouvrir d'un seul coup la cage thoracique d'un condamné, en arracher le coeur tout palpitant, et le montrer au criminel avant que ses yeux ne se ferment.
Le sang rouge et chaud fait tourner la tête, il donne naissance à des imageset à des idées, et il mène parfois jusqu'à la folie. Alors que le sang bleu et froid, c'est la maîtrise, c'est la retenue, c'est le calcul, c'est ce qui oblige l'artiste à considérer son ouvrage d'un oeil critique, à supprimer le superflu et à rajouter l'indispensable. Le sang bleu, c'est le Jugement dernier de l'artiste sur lui-même.
Depuis l'âge de dix-douze ans, je me surprenais souvent à penser à la mort. Je me sentais mourir. Je mourais à chaque respiration, à chaque instant. Mais sa propre mort, on finit tôt ou tard par s'y habituer, tandis que celle des autres... celle des autres, on n'arrive pas à s'y faire.