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Critique de lafilledepassage


Voyez Stalen (non, non, son nom n'est pas la concaténation des contractions des noms de Staline et de Lénine, mais plutôt des prénoms de ses parents, Stanislas et Lena) qui déambule dans les méandres du métro moscovite. Notez le faste et la beauté de ces stations, les plus belles du monde parait-il.

Suivez ce sous-locataire, qui bien que, « propriétaire depuis longtemps, reste néanmoins sous-locataire dans l'âme, craignant à tout moment d'être flanqué à la porte ». Stalen, sous-locataire de ce pays-maison, où se côtoient peuples d'Europe, d'Asie centrale et d'Extrême-Orient, nouveaux riches et aristocrates déchus, fonctionnaires acrimonieux et mafieux véreux, paysannes déplacées et policiers politiques reconvertis. Un joyeux bazar, je vous dis. Certes « la maison est grande, mais nous vivons à l'étroit», dans une promiscuité qui « est la monstrueuse contradiction entre l'immensité de l'espace de la Russie et l'exiguïté de son existence », où « il n'y a pas de place pour la personne privée, sinon dans un palais ou une cellule d'isolement. ». Notre homme se sent locataire tout comme d'ailleurs Dostoïevski, qui « se sent locataire d'une maison en feu et n'a pas de temps à perdre à des bêtises – il peut tout juste accomplir l'indispensable, crier l'essentiel. »

Crier l'essentiel, oui, c'est bien ça. Ecoutez Stalen crier l'essentiel et vous raconter l'histoire picaresque de la Russie, ce dernier demi-siècle chahuté. L'URSS, sa chute et la fin ou non de l'histoire. Ou peut-être la fin d'une étape de l'histoire, maintenant que « le libéralisme a vaincu, qu'il ne reste plus d'adversaires … », maintenant que « l'idée d'un homme avec des idées est définitivement discréditée ».

Rencontrez par son intermédiaire Pouchkine, Gogol, Dostoïevski , Garchine, Sologoub, Biely, Tchekhov, Boulgakov, … , les plus grands de la littérature russe mais pas que. Il vous dira aussi Swift, Crane, Stendhal. Et Poe, Akutagawa, Faulkner, Hawthorne, … tous ces grands auteurs qui l'ont nourri, qui l'ont porté dans ses réflexions sur le récit, sur la littérature, sur l'art en général. On se sent soudain tout petit, insignifiant face à tant de culture, tant d'intelligence.

Tentez de pénétrer avec lui l'âme russe, son goût pour le non-sens et son pessimisme viscéral. Que lui répondrez-vous quand il vous dira que «en Russie, une révolution pacifique ne peut être authentique», que « le monde s'écroule – la vie se poursuit, nous vivons ainsi depuis mille ans, nous nous sommes accoutumés. », qu'il est inutile d'avoir des projets pour l'avenir, que seule la concupiscence, le bâton ou le Kremlin rassemble le peuple ?

Mais surtout trinquez, trinquez. Trinquez avec Stalen. Cognac français, whisky écossais, et bien sûr vodka russe. Trinquez pour oublier que « les visages dans le métro ont changé : les hommes essoufflés aux porte-documents boursouflés avaient disparu, les Juifs moscovites, les travailleurs scientifiques et techniques, les prolétaires sont de plus en plus rares, en revanche on voyait de plus en plus de jeunes managers en petit costume bon marché », que désormais on parle en Russie la même langue creuse et morte du management moderne quand il s'agit d'expliquer « comment le petit trafiquant de chewing-gum était devenu multimillionnaire […] : on résolvait des problèmes, on apportait à qui de droit, on a eu de la chance […] ».

Trinquez, oui c'est tout ce qu'il nous reste pour oublier que les dirigeants (politiques ou économiques, sans distinction ) russes (et d'ailleurs) « connaissent la recette pour atteindre le bonheur universel : il suffisait d'appauvrir la population afin de dévaluer la force de travail – ainsi, nos marchandises, qui n'étaient pas de très bonne qualité, deviendraient compétitives grâce à leur faible coût-, de concentrer les ressources entre les mains d'une minorité afin que cette minorité puisse être concurrentielle sur le marché international, de détruire les syndicats… »

Je dédie ce billet à Natacha, Nadejda, Karolina et à toutes les autres victimes de russophobie, victimes d'amalgame débile, grossier et dangereux.
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