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Critique de Animyst


Un cas d'école en matière d'ethnocentrisme...

Souvent, l'histoire est écrite par les vainqueurs. Il arrive donc fatalement que certaines biographies le soient aussi... En particulier lorsqu'il y a choc des cultures entre le biographe et son sujet d'étude, comme ici. Carlos Castaneda, d'origine péruvienne, rappelons-le, avait employé tout son génie à redonner du pouvoir au "sauvage" - le "sauvage" indigène, tout autant que Le Sauvage métaphysique, le fameux "nagual" ; Christophe Bourseiller bataille donc ici pour faire rentrer dans le rang toutes ces "indianités" - ainsi qu'il les nomme lui-même - et leurs prétentions libertaires de fort mauvais goût. A commencer par les libertés prises par le nagual métaphysique lui-même, dont on ne peut rien dire – à l'image du Tao -, dont on peut seulement faire l'expérience (comme l'avait compris elle-même la théologie apophatique depuis belle lurette), et qui ne peut donc pas tomber sous la coupe de la rationalité scientifique ou philosophique (le "tonal")... Quelle impudence que d'offrir ainsi tant de résistance à l'intellect supérieur du plus évolué parmi les êtres vivants (connus) ! Aussi, le "petit tyran" humain souffleté entend proprement renvoyer à l'envoyeur le gant qu'il a reçu en plein visage.

Cette biographie est donc un bon exemple du fait qu'il ne suffit pas de monter dans un avion pour réussir à voyager à l'étranger... Je suis définitivement convaincue aujourd'hui du fait que l'on peut faire plusieurs fois le tour de la planète sans jamais sortir de son propre monde. La seule chose que ce genre de "voyage" change, c'est qu'ensuite, on peut s'en vanter dans les dîners mondains ! (Ou dans un livre).

Ce n'est pourtant pas pour rien que don Juan, le maître - réel ou fictionnel - de Carlos Cataneda, nous invite à le rencontrer au désert - lieu traditionnel hautement symbolique s'il en est. Autrement dit, pour réellement entendre la parole de don Juan, et ne pas se vautrer jusqu'à la lie dans le dialogue de sourds, il semble profitable de commencer par "vider sa coupe pleine" - comme disent les maîtres Zen... Ajoutons aussi, en matière de méthode, que quitte à se vanter d'avoir fait des études de philosophie – ce que tend à faire volontiers Monsieur Bourseiller (en écrasant de toute sa hauteur, dépourvue de générosité et donc de pédagogie, le prétendu public "new age"…) -, autant en profiter pour en appliquer les préceptes éthiques et méthodologiques : 1° ne pas céder à l'argument d'autorité, 2° ne pas verser dans l'argumentation ad hominem (on ne fait jamais d'amalgame entre la biographie d'un penseur et les idées qu'il développe), 3° revenir sans cesse au texte… Last but not least, je crois me souvenir que Socrate est censé avoir dit « Connais-toi toi-même » et non « Connais tes classiques et fais carrière »…

NB : sans doute est-ce là l'élucidation du mystère insoutenable incarné par le choix de carrière « fantaisiste » du papa « raté » de Castaneda – qui avait renoncé à une brillante carrière universitaire, mais continuait à lire « en cachette » Kant et Spinoza tout en exerçant la profession de joailler. Parfois, pour certains, le choc des cultures va jusque-là – au point de susciter un ahurissement massif : « Comment les questions existentielles et métaphysiques peuvent-elles donc devenir plus importantes que les problématiques d'image et de statut social ? », s'extasient certains... Or les chiens ne font pas des chats : « L'homme de connaissance n'a ni honneur, ni dignité, ni famille, ni nom, ni patrie, mais seulement une vie à vivre (sous-entendu : le plus consciemment possible), et dans de telles circonstances son seul lien avec ses semblables est sa folie contrôlée. », écrit Castaneda dans « Voir ».

Tiens, d'ailleurs, que dit encore le texte ?
" En sorcellerie, le merveilleux est que chaque sorcier doit obtenir la preuve de chaque chose par sa propre expérience. Je te révèle les principes de la sorcellerie non pas avec l'espoir que tu les mémoriseras, mais avec l'espoir que tu les mettras en pratique. » (L'art de rêver). Voilà pour ce qui concerne l'approche purement spéculative des critiques littéraires, pour qui la seule fonction d'un livre semble être de trouver sa juste place, soigneusement étiquetée, sur un rayonnage de bibliothèque. Quant à s'en approprier le contenu de façon personnelle et à vivre sa vie en conséquence, il ne semble jamais en être question…

" La suffisance est non seulement le suprême ennemi du sorcier, mais aussi la Némésis – le châtiment mérité – de l'humanité. L'argument de don Juan était que nous consacrons la majeure partie de notre énergie à entretenir notre suffisance. C'est tout à fait évident, vu notre souci jamais assouvi de présentation de notre moi et cette autre préoccupation de savoir si oui ou non nous sommes admirés, ou aimés, ou reconnus. Son raisonnement le conduisait à dire que si nous étions capables de perdre un tant soi peu de cette importance, deux choses extraordinaires surviendraient. Primo, nous libérerions notre énergie de la tentative de maintenir l'illusoire idée de notre grandeur ; secundo, nous disposerions de cette énergie pour entrer dans la seconde attention et jeter un coup d'oeil sur la véritable grandeur de l'univers. (L'art de rêver). Voilà pour le snobisme et la vanité.

" Dire qu'il n'y a pas de chemin sans le nagual, c'est se référer entièrement au fait que l'homme, le nagual, est un nagual parce qu'il peut réfléchir l'Abstrait, l'Esprit, mieux que tout autre. Mais ce n'est rien de plus. Notre lien est avec l'Esprit lui‑même et, incidemment seulement, avec l'homme qui nous apporte son message. » (L'art de rêver) " Peut-être serait-il plus exact de dire que l'Esprit s'exprime en accord avec l'impeccabilité du nagual. L'Esprit peut déplacer le point d'assemblage grâce à la seule présence d'un nagual impeccable. [Don Juan] me dit qu'il avait voulu clarifier ce point parce que, s'il était mal compris, le nagual était renvoyé à la suffisance et, par là, à sa destruction." (La Force du silence). Autrement dit, un véritable nagual ne peut pas devenir un gourou, sans quoi, piégé par son ego, il ne peut plus se faire le canal transparent de l'Esprit (du Souffle-Esprit, comme disent les taoïstes). Or un nagual qui ne parvient plus à se faire le canal impersonnel de l'Esprit n'est plus un nagual, par définition – seulement un gourou, un charlatan, un mégalomane, ou que sais-je. le véritable nagual impeccable nous est présenté dans les livres comme étant don Juan et non Carlos Castaneda - Carlos étant justement le repoussoir de don Juan dans les livres, le modèle de tout ce qu'il ne faut pas faire : le stéréotype de "l'homme ordinaire". Donc s'en prendre au "gourou Castaneda", comme le fait Christophe Bourseiller, dans le but de décrédibiliser les livres n'a pas beaucoup de sens. D'autant plus que l'immense majorité des lecteurs n'a jamais eu affaire à l'auteur en chair et en os, seulement au "personnage" don Juan…

Songeons d'ailleurs au fait que l'immense majorité des chrétiens n'a jamais rencontré Jésus non plus, ni ne peut produire la preuve que les évangiles rapportent bien ses actes et paroles. Ce qui n'empêche en rien ces récits spirituels d'être une puissante source d'inspiration.... Certains saints ont même réussi à faire des miracles au nom de Jésus ! Au cas où Jésus n'en aurait jamais fait lui-même, ses véritables successeurs ont su combler cette lacune... :o) Voilà pour ce qui concerne les "gourous" et la "fiction".

Une petite dernière ?
« J'avais accepté de bonne grâce de me balader dans le monde de don Juan, mais convaincu seulement à demi ; en conséquence, j'avais été un presque-sorcier. Tous mes efforts n'avaient été rien de plus que mon ardeur insensée à m'escrimer avec mon intellect, comme si j'avais été dans une université, où l'on peut faire cette chose-là de huit heures du matin à cinq heures du soir, puis, fatigué comme il se doit, rentrer paisiblement chez soi. Don Juan avait l'habitude de dire, en manière de plaisanterie, qu'après avoir aménagé le monde de la manière la plus esthétique et la plus logique possible, l'étudiant rentre chez lui à cinq heures pour pouvoir oublier ce merveilleux aménagement. » (Le Second anneau de pouvoir). Voilà pour ce que j'ai coutume d'appeler la "bourgeoisie philosophique" (qui n'a pas grand chose à voir avec la véritable pensée, enracinée dans la vraie vie, comme le sont les livres de Castaneda…)

Pour faire bonne mesure - histoire d'être juste ! - citons Monsieur Bourseiller lui-même :
"Ce livre, je le prends pour un signe amical. J'expédie un message à Carlos, pour lui dire en substance : "Il existe en Europe des gens qui te lisent, qui te lisent vraiment'.
Certes !... :o)
Inconscience ou amour vache ?
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