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Critique de Bastien_P


Un petit gâchis ?

C'est au tour de Fahrenheit 451 de passer sur le grill. Sous la fournaise du lance-flamme ? Non, n'allons pas jusque-là, car les intentions de l'auteur sont nobles, essentielles même, et son style mérite quelque attention.

Parlons-en, de cette plume ! Romantique, poétique à souhait, je l'avais déjà souligné dans mon avis sur les Chroniques Martiennes, du même auteur. Ici, on ressent d'autant mieux ce lyrisme mesuré que le thème s'y prête à merveille. Trop mesuré, malheureusement. J'ai l'impression que Bradbury a refréné ce penchant naturel, sa passion pour les bons mots, les atmosphères oniriques et contemplatives, la philosophie, même.
Ce roman méritait pourtant qu'il y aille franco, tant dans la forme que dans le fond. S'il avait approfondi le sujet principal, à savoir l'importance des livres pour l'avenir de l'être humain, il aurait sans doute trouvé de quoi exprimer vraiment son talent (comme il l'avait fait avec brio dans Usher II). En effet, dans Fahrenheit 451, on survole tout, à l'image de ces zincs, jets ou bombardier qui sillonnent le ciel, sans que l'on sache jamais ce qu'ils foutent là, ni d'où ils viennent. J'attendais un développement des apports de la littérature, par exemple la manière dont tel ou tel texte aurait pu aider Montag, le héros, à appréhender une situation, à réfléchir à sa condition, à s'extraire d'un quelconque guêpier. J'ai eu bon espoir lorsque l'auteur nous annonce une joute verbale par oreillettes interposées ; un souffleur, comme au théâtre, chouette ! Et puis non, finalement, le voilà qui se ravise. Et c'est comme ça pour tout : la jeune femme rencontrée en début de roman, tellement pleine de promesses, mais qui disparaît avant même d'avoir laissé éclore sa pensée débridée ; le revirement du héros, qui se rebelle sans que l'on comprenne vraiment les mécanismes qui l'y poussent, sans identifier clairement l'élément déclencheur ; les contradictions de son chef de caserne, dont les connaissances littéraires et la maestria oratoire vont à l'encontre de sa mission, de son métier – c'est d'ailleurs le point le plus gênant de ce livre, et il eût été intéressant de creuser un peu ce personnage, histoire de donner du poids à cette dualité, à la justifier par la complexité de la nature humaine.
Bref, une idée brillante, mais mal exploitée. Les personnages eux-mêmes manquent de vie (comme dans les Chroniques Martiennes, remarquez), mais c'est peut-être l'atmosphère dystopique qui exige cela.

Ce que Ray Bradbury fait à merveille, en revanche, c'est dépeindre le marasme de la pensée sous les assauts de la technologie, du virtuel et du divertissement prêt à consommer. Il semble évident que l'esprit humain s'abandonne docilement à ce qu'on lui fait ingurgiter, à grand renfort de confort et de possession (ce point précis devait être encore plus percutant lorsque le livre fut publié, en 1953). Des oeillères en forme de murs-écrans, et de la vitesse pour ne plus voir ce qui nous entoure, voilà la recette d'un peuple malléable prêt à ignorer jusqu'à la guerre qui frappe à sa porte. Ce trait est grossi (à peine), et apparaît très justement comme une maladie.

Le bilan reste donc très positif, puisque la plume de Bradbury nous embarque avec sincérité dans une dystopie ou le drame le dispute à l'espoir. La mémoire de notre espèce ne serait pas totalement perdue du moment qu'une poignée d'entre nous aurait à coeur de l'entretenir ?
Puisse cette conclusion éveiller certains de nos contemporains, et les inciter à ouvrir quelques bouquins, nom d'une salamandre !
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