" - [...] Moi je ne songeais qu'à te venir en aide, comme le font, avec leurs frères vivants, les morts qui demeurent dans la chambre de Dieu !
- Mais pourquoi n'y demeures-tu pas, toi aussi ?
- Parce que je suis mal vêtu !"
Giovanni La Pergola retira sa main de sous l'oreiller pour se toucher le front :
" - Comment ? Que me dis-tu là ? Les morts sont aussi bien et mal vêtus ?
- Les morts qui ont été tués, oui. Pour pénétrer dans la chambre de Dieu, ils doivent être bien vêtus, autrement ils n'y ont pas accès.
- Et comment fait-on pour être bien vêtu ? Tu ne voudrais pas que je t'envoie de l'argent ?"
Le frère eut un sourire :
" - Oh non ! Si tu mettais un sou dans ma main, elle s'ouvrirait comme une toile d'araignée et le laisserait choir dans le ravin du ciel.
- Alors quoi ?
- Nous autres morts, nous sommes, au ciel, vêtus de la même manière que le sont nos frères vivants sur la terre. Si toi tu es vêtu convenablement, je le serai aussi. Si tes vêtements empestent les oignons de l'année dernière, les légumes du mois de janvier, les relents de la rue, le fumier, le bois pourri, le tabac, moi aussi j'empeste là-haut, les morts s'écartent de moi, et la porte de Dieu m'est fermée au nez toutes les fois que je m'en approche !
- Mais Dieu, alors, est un Dieu pour les nantis ?
- Non, tu ne peux pas comprendre ! Il veut de la propreté dans sa chambre, voilà tout !
Les hommes ne sont pas des bouteilles transparentes, avec le liquide de l'intelligence reconnaissable par sa couleur rouge, et celui du coeur par sa couleur verte. Ce sont des êtres ! Ce sont des esprits ! De mystères ! Personne ne peut dire : "Celui-là est un âne ! Celui-ci est un homme honorable !" Dieu seul peut concéder à l'un d'entre nous, par une grâce particulière, le don de lire clairement en quelqu'un. Ainsi s'expliquent certaines amitiés qui peuvent paraître absurdes au moment où elles se nouent.
Près du montant du balcon, le petit canari se défendait, le bec ouvert et les ailes déployées à moitié, contre une guêpe qui se cognait contre la cage : c'était un duel où les armes étaient différentes, à chaque sursaut de colère et de peur, le canari fulgurait d'un éclair d'or, et la guêpe émettait une note musicale d'une extrême délicatesse. Du haut, un papillon blanc aux ailes peintes d'un noble deuil, surveillait le duel.
En réalité, de nouveaux venus étaient venus s'y installer, et l'on avait vu s'ouvrir certaines portes, toujours closes auparavant, et sur lesquelles les gamins avaient pris l'habitude de laisser le signe à la craie, comme sur un tableau noir, de leurs progrès en dessin, en écriture et en connaissances des choses de ce monde.