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Citations sur Les Fusils de la Mère Carrar (8)

L'OUVRIER : Francisco, en réalité, je ne voulais pas vous demander ce qu'à votre avis le général Franco doit faire, mais ce qu'à votre avis il va faire. Vous comprenez ma question ?
LE PADRE : Oui.
L'OUVRIER : Vous comprenez que cette question je la pose au chrétien, ou disons plutôt : à un homme qui ne possède pas, lui, de couvent, c'est ainsi que vous vous êtes exprimé, et qui dira la vérité, quand il y va de la vie. Car c'est de ça qu'il s'agit, n'est-ce pas ?
LE PADRE (très inquiet) : Je vous comprends.
L'OUVRIER : Je peux peut-être vous faciliter la réponse, en vous rappelant ce qui s'est passé à Malaga.
LE PADRE : Je sais ce que vous voulez dire. Mais êtes-vous sûr qu'il n'y avait pas de résistance à Malaga ?
L'OUVRIER : Vous savez que cinquante mille réfugiés, hommes, femmes et enfants, ont été fauchés par les canons des navires, les bombes et les mitrailleuses des escadres aériennes de Franco, sur les deux cent vingt kilomètres de la route d'Almeria ?
LE PADRE : Ça pourrait être une atroce fausse nouvelle.
L'OUVRIER : Comme celle des prêtres fusillés ?
LE PADRE : Comme celle des prêtres fusillés.
L'OUVRIER : Alors, ils n'ont pas été fauchés ? (Le padre garde le silence.) Madame Carrar et ses fils sont donc en sécurité ?
LE PADRE : Autant qu'on puisse en juger…
L'OUVRIER : Oui ? Autant qu'on puisse en juger ?
LE PADRE (énervé) : Vous ne voulez tout de même pas que je me porte garant ?
L'OUVRIER : Non. Vous devez simplement dire ce que vous pensez vraiment. Madame Carrar et ses fils sont-ils en sécurité ? (Le padre garde le silence.) Je pense que nous comprenons votre réponse. Vous êtes un homme honnête.
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L'OUVRIER : Et comment croyez-vous que nous aurons de nouveau notre pain quotidien que vous priez qu'on nous donne dans le Notre Père ?
LE PADRE : Je ne sais pas, je ne peux que prier.
L'OUVRIER : Alors ça va vous intéresser, la nuit dernière, Dieu a fait faire demi-tour aux bateaux de vivres.
LE JEUNE HOMME : C'est vrai ? — Mère, les bateaux ont fait demi-tour.
L'OUVRIER : Oui, c'est ça la neutralité. À propos, vous aussi vous êtes neutres ?
LE PADRE : Comment l'entendez-vous ?
L'OUVRIER : Eh bien, partisan de la non-intervention ! Et en étant partisan de la non-intervention, vous approuvez au fond tous les bains de sang que ces messieurs les généraux provoquent au sein du peuple espagnol.
LE PADRE : Je ne les approuve pas.
L'OUVRIER : Gardez les mains en l'air un instant. C'est dans cette attitude, paraît-il, que cinq mille des nôtres sont sortis des maisons assiégées de Badajoz. C'est justement dans cette attitude qu'ils ont été fusillés.
LA MÈRE : Pedro, comment peux-tu dire des choses pareilles ?
L'OUVRIER : Ce qui m'a frappé, Teresa, c'est que l'attitude que l'on prend pour désapprouver quelque chose ressemble terriblement à l'attitude que l'on prend pour capituler. J'ai souvent lu que les gens qui s'en lavent les mains, le font dans des cuvettes pleines de sang. On le voit bien par la suite à leurs mains.
LA MÈRE : Pedro !
LE PADRE : Laissez donc, madame Carrar. Dans des époques pareilles les esprits sont emportés. Quand cela sera passé, nous tous nous réfléchirons de nouveau plus calmement.
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(Elle sort.)
L'OUVRIER : Dis donc, José, tu n'es pas le plus sot et on n'a pas besoin de tout t'expliquer en long et en large. Alors où sont-ils ?
LE JEUNE HOMME : Quoi ?
L'OUVRIER : Les fusils !
LE JEUNE HOMME : Du père ?
L'OUVRIER : Ils doivent pourtant être encore là. Quand il est parti, il n'a pas pu monter dans le train avec une chose pareille.
LE JEUNE HOMME : C'est ça que tu es venu chercher ?
L'OUVRIER : Quoi d'autre ?
LE JEUNE HOMME : Elle ne les rendra jamais. Elle les a cachés.
L'OUVRIER : Où ? (Le jeune homme montre un coin de la pièce. L'ouvrier se lève et s'apprête à y aller, lorsqu'on entend des pas. Il se rassoit rapidement.) Plus un mot à présent !
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L'OUVRIER : Il y en a beaucoup d'ici qui sont au front, hein ?
LE JEUNE HOMME : Il y en a aussi qui sont encore là.
L'OUVRIER : Chez nous, même de parfaits catholiques s'y trouvent déjà en grand nombre.
LE JEUNE HOMME : D'ici aussi, quelques-uns.
L'OUVRIER : Donc ils ont tous des fusils ?
LE JEUNE HOMME : Non. Pas tous.
L'OUVRIER : Ça, ce n'est pas bon. Actuellement, des fusils, c'est ce qu'il y a de plus nécessaire. Avez-vous encore des fusils au village ?
LA MÈRE (vite) : Non !
LE JEUNE HOMME : Il y a des gens qui en ont caché. Ils les enfouissent dans le sol comme des pommes de terre.
(La mère regarde le jeune homme.)
L'OUVRIER : Bon.
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L'OUVRIER : Teresa, tu n'as pas le droit de garder les fusils de Carlo.
LA MÈRE (remettant les fusils dans leur caisse) : Droit ou pas droit, je ne vous les donne pas ! Vous ne pouvez pas venir éventrer mon plancher et emporter contre mon gré quelque chose de chez moi.
L'OUVRIER : Ce n'est pas forcément quelque chose qui est à sa place dans une maison. Je ne veux pas te dire devant ton fils ce que je pense de toi et nous n'allons pas non plus parler de ce que ton mari penserait de toi. Il a combattu. Je suppose que tu as perdu la tête par peur pour tes garçons. Mais naturellement nous ne pouvons pas tenir compte de ça.
LA MÈRE : Qu'est-ce que ça signifie ?
L'OUVRIER : Ça signifie que je ne partirai pas sans les fusils. Tu peux en être sûre.
LA MÈRE : Alors il faudra que tu m'abattes.
L'OUVRIER : Je ne le ferai pas. Je ne suis pas le général Franco. Je parlerai simplement à Juan. Et je pense que je les aurai.
LA MÈRE (vite) : Juan ne viendra pas.
L'OUVRIER : Mais c'est toi qui l'as appelé !
LA MÈRE : Je ne l'ai pas appelé. Pedro, je ne veux pas qu'il te voie.
L'OUVRIER : Je m'attendais à une chose comme ça. Mais moi aussi, j'ai une voix. Je peux descendre à la mer et l'appeler. Une phrase suffira, Teresa ; je connais Juan. Ce n'est pas un lâche. Tu ne pourras pas le retenir.
LE JEUNE HOMME : Et moi aussi je vais avec toi.
LA MÈRE (très calme) : Laisse mes enfants tranquilles, Pedro ! Je leur ai dit que s'ils s'en vont je me pendrai. Je sais que devant Dieu c'est un péché qui entraîne la damnation éternelle. Mais je ne peux agir autrement. Quand Carlo est mort comme il est mort, je suis allée trouver le padre, sans quoi je me serais déjà pendue à ce moment-là. Je savais fort bien que j'avais ma part de responsabilité, encore que c'était lui le pire. Nous ne sommes pas si heureux et ce n'est pas si facile de supporter cette vie. Mais avec le fusil ça ne va pas. a, je l'ai vu quand ils m'ont apporté Carlo et qu'ils me l'ont posé par terre. Je ne suis pas pour les généraux et c'est une honte de dire ça de moi. Mais si je me tiens tranquille et si je réprime mes emportement, peut-être, peut-être qu'ils nous épargnerons. C'est un calcul simple. C'est assez peu de chose, ce que je demande. Je ne veux plus voir de drapeau. Nous sommes assez malheureux.
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LA MÈRE : Le pire, c'est qu'avec leur entêtement ils arrivent à vous faire dire des tas de choses que l'on ne pense pas du tout. Je ne suis pourtant pas contre Inès.
L'OUVRIER (en colère) : Si, tu es contre Inès ! En ne l'aidant pas, tu étais contre elle ! Tu dis aussi que tu n'es pas pour les généraux. Et c'est aussi faux, que tu le saches ou pas. En ne nous aidant pas contre eux, tu es pour eux. Tu ne peux pas rester neutre, Teresa !
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LA MÈRE : Mon frère ne me tient pas pour une bonne Espagnole. Il pense que je devrais laisser Juan partir au front.
LE JEUNE HOMME : Et moi aussi ! Notre place est là-bas !
LE PADRE : Vous savez, madame Carrar, qu'en toute conscience je tiens votre attitude pour justifiée. Dans beaucoup de régions le bas-clergé soutient le gouvernement légal. Sur les dix-huit diocèses de Bilbao, dix-sept se sont prononcés pour le gouvernement. Un grand nombre de mes confrères exercent au front. Quelques-uns sont déjà tombés. Mais moi je ne suis en aucune façon un combattant. Dieu ne m'a pas accordé le don d'appeler à haute et intelligible voix mes paroissiens à combattre pour… (il cherche un mot) pour quoi que ce soit. Je m'en tiens à la parole de Notre Seigneur : Tu ne tueras point ! Je ne suis pas riche. Je ne possède pas de couvent, et le peu que j'ai, je le partage avec ma paroisse. C'est peut-être la seule chose qui puisse, à une pareille époque, donner quelque poids à mes paroles.
L'OUVRIER : Sûrement. La question est de savoir, simplement, si vous n'êtes pas un combattant. Vous devez me comprendre. Par exemple, un homme qui est sur le point d'être tué et qui veut se défendre, si vous arrêtez son bras en lui disant : Tu ne tueras point ! de sorte qu'on peut le saigner comme un poulet, alors peut-être que vous participez quand même à ce combat, je veux dire, à votre manière. Je pense que vous m'excuserez si je dis ça.
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LA VIEILLE MADAME PEREZ : On dit de vous que vous êtes pour l'autre côté. Mais moi je dis toujours le contraire. Nous autres nous savons quelle est la différence entre pauvres et riches.
LA MÈRE : Je ne veux pas que mes enfants deviennent soldats. Ce ne sont pas des bêtes de boucherie.
LA VIEILLE MADAME PEREZ : Vous savez, madame Carrar, je le dis toujours, pour les pauvres, il n'y a pas d'assurance sur la vie. C'est-à-dire qu'ils sont frappés de toute façon. Ceux qui sont frappés, eh bien on les appelle les pauvres. Les pauvres, madame Carrar, aucune précaution ne peut les sauver.
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