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EAN : 978B003WZ2IUK
L'Arche (01/01/1967)
4.67/5   3 notes
Résumé :
76 pages.
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Que lire après Les Fusils de la Mère CarrarVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Les Fusils de la Mère Carrar est une très courte pièce en un acte de Bertolt Brecht. Oui, Bertolt Brecht, il faut que je me le répète fréquemment car à aucun moment je n'ai eu l'impression de lire autre chose que du Federico García Lorca.

Bien que cette pièce de 1937 ne soit probablement pas conçue comme un hommage au poète et dramaturge espagnol disparu l'année précédente (quoique, ce serait à creuser…), de par son sujet, l'atrocité de la Guerre d'Espagne en Andalousie, de par sa prise de position, proche des gens, contre Franco, elle ne peut qu'évoquer le combat de García Lorca.

Pourtant, cette pièce ne fait pas du tout dissonance dans l'oeuvre de Brecht, très cohérent avec lui-même, ouvertement ennemi de toutes les formes de fascisme, mais elle a le parfum féroce de la rude Andalousie et de la tragédie collective qui s'y est jouée dans les années 1930.

Très bien écrite, très bien amenée, comme c'est souvent l'habitude chez Brecht, son sujet n'est pourtant, selon moi, ni la résistance, ni la dénonciation. Le sujet me paraît plus philosophique, plus théorique : la neutralité en cas de conflit.

Oui, Bertolt Brecht pose hardiment la question : Peut-on décemment se déclarer neutre et pacifique quand ce qui se joue c'est la vie et la liberté ? Une question qui s'est posée en son temps en Espagne, qui a dû se poser il y a une vingtaine d'années en Bosnie et qui se pose encore et plus cruellement que jamais au Proche-Orient aujourd'hui.

La réponse de l'auteur est sans équivoque ; c'est à mon sens le principal point faible de la pièce. Présentée dans un premier temps sous une forme relativement dialectique et équilibrée, elle prend au dénouement de la pièce un caractère univoque : on n'a pas le choix, il faut s'engager contre le fascisme, quitte à y perdre la vie.

Si l'on se souvient que Bertolt Brecht écrit cette pièce en plein dans le feu de l'action de la Guerre d'Espagne, qu'il ne prend même pas la précaution littéraire de changer les noms des dirigeants comme il l'avait fait dans La résistible ascension d'Arturo Ui, on peut comprendre et pardonner cette réponse simple dictée par l'urgence de la situation.

En deux mots, madame Carrar est veuve : elle vient de perdre son mari qui s'est engagé dans la lutte contre Franco. Elle redoute de voir ses deux fils suivre le même chemin et se réfugie donc dans la neutralité en interdisant formellement aux deux garçons de prendre parti (en l'occurrence, rejoindre le maquis).

Cette décision est d'autant plus dure à tenir que le village est fermement résistant et que les jeunes hommes Carrar se font régulièrement conspuer pour leur non engagement, eux qui ont des cœurs vaillants.

Soudain arrive le frère de la veuve qu'on n'a pas vu depuis longtemps. Il est lui aussi très activement engagé dans la résistance à Franco et vient chercher… les fusils de la mère Carrar, ceux qui appartenaient à son beau-frère. Il espère repartir non seulement avec les armes mais aussi avec deux combattants supplémentaires…

Je vous laisse découvrir la lutte acharnée d'une mère qui, ayant déjà vu revenir son mari les pieds devant, fait tout son possible pour éviter que ses fils ne lui échappent à leur tour, eux qui ne rêvent que de prendre les armes.

En somme, du bon García Lorc… euh, non, Brecht, rude comme le soleil et les pierres d'Andalousie, où les fusils deviennent le symbole de l'engagement dans la lutte contre le fascisme. À découvrir, mais ce n'est bien sûr que mon avis à un coup, pas toujours percutant, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
L'OUVRIER : Francisco, en réalité, je ne voulais pas vous demander ce qu'à votre avis le général Franco doit faire, mais ce qu'à votre avis il va faire. Vous comprenez ma question ?
LE PADRE : Oui.
L'OUVRIER : Vous comprenez que cette question je la pose au chrétien, ou disons plutôt : à un homme qui ne possède pas, lui, de couvent, c'est ainsi que vous vous êtes exprimé, et qui dira la vérité, quand il y va de la vie. Car c'est de ça qu'il s'agit, n'est-ce pas ?
LE PADRE (très inquiet) : Je vous comprends.
L'OUVRIER : Je peux peut-être vous faciliter la réponse, en vous rappelant ce qui s'est passé à Malaga.
LE PADRE : Je sais ce que vous voulez dire. Mais êtes-vous sûr qu'il n'y avait pas de résistance à Malaga ?
L'OUVRIER : Vous savez que cinquante mille réfugiés, hommes, femmes et enfants, ont été fauchés par les canons des navires, les bombes et les mitrailleuses des escadres aériennes de Franco, sur les deux cent vingt kilomètres de la route d'Almeria ?
LE PADRE : Ça pourrait être une atroce fausse nouvelle.
L'OUVRIER : Comme celle des prêtres fusillés ?
LE PADRE : Comme celle des prêtres fusillés.
L'OUVRIER : Alors, ils n'ont pas été fauchés ? (Le padre garde le silence.) Madame Carrar et ses fils sont donc en sécurité ?
LE PADRE : Autant qu'on puisse en juger…
L'OUVRIER : Oui ? Autant qu'on puisse en juger ?
LE PADRE (énervé) : Vous ne voulez tout de même pas que je me porte garant ?
L'OUVRIER : Non. Vous devez simplement dire ce que vous pensez vraiment. Madame Carrar et ses fils sont-ils en sécurité ? (Le padre garde le silence.) Je pense que nous comprenons votre réponse. Vous êtes un homme honnête.
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L'OUVRIER : Et comment croyez-vous que nous aurons de nouveau notre pain quotidien que vous priez qu'on nous donne dans le Notre Père ?
LE PADRE : Je ne sais pas, je ne peux que prier.
L'OUVRIER : Alors ça va vous intéresser, la nuit dernière, Dieu a fait faire demi-tour aux bateaux de vivres.
LE JEUNE HOMME : C'est vrai ? — Mère, les bateaux ont fait demi-tour.
L'OUVRIER : Oui, c'est ça la neutralité. À propos, vous aussi vous êtes neutres ?
LE PADRE : Comment l'entendez-vous ?
L'OUVRIER : Eh bien, partisan de la non-intervention ! Et en étant partisan de la non-intervention, vous approuvez au fond tous les bains de sang que ces messieurs les généraux provoquent au sein du peuple espagnol.
LE PADRE : Je ne les approuve pas.
L'OUVRIER : Gardez les mains en l'air un instant. C'est dans cette attitude, paraît-il, que cinq mille des nôtres sont sortis des maisons assiégées de Badajoz. C'est justement dans cette attitude qu'ils ont été fusillés.
LA MÈRE : Pedro, comment peux-tu dire des choses pareilles ?
L'OUVRIER : Ce qui m'a frappé, Teresa, c'est que l'attitude que l'on prend pour désapprouver quelque chose ressemble terriblement à l'attitude que l'on prend pour capituler. J'ai souvent lu que les gens qui s'en lavent les mains, le font dans des cuvettes pleines de sang. On le voit bien par la suite à leurs mains.
LA MÈRE : Pedro !
LE PADRE : Laissez donc, madame Carrar. Dans des époques pareilles les esprits sont emportés. Quand cela sera passé, nous tous nous réfléchirons de nouveau plus calmement.
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L'OUVRIER : Teresa, tu n'as pas le droit de garder les fusils de Carlo.
LA MÈRE (remettant les fusils dans leur caisse) : Droit ou pas droit, je ne vous les donne pas ! Vous ne pouvez pas venir éventrer mon plancher et emporter contre mon gré quelque chose de chez moi.
L'OUVRIER : Ce n'est pas forcément quelque chose qui est à sa place dans une maison. Je ne veux pas te dire devant ton fils ce que je pense de toi et nous n'allons pas non plus parler de ce que ton mari penserait de toi. Il a combattu. Je suppose que tu as perdu la tête par peur pour tes garçons. Mais naturellement nous ne pouvons pas tenir compte de ça.
LA MÈRE : Qu'est-ce que ça signifie ?
L'OUVRIER : Ça signifie que je ne partirai pas sans les fusils. Tu peux en être sûre.
LA MÈRE : Alors il faudra que tu m'abattes.
L'OUVRIER : Je ne le ferai pas. Je ne suis pas le général Franco. Je parlerai simplement à Juan. Et je pense que je les aurai.
LA MÈRE (vite) : Juan ne viendra pas.
L'OUVRIER : Mais c'est toi qui l'as appelé !
LA MÈRE : Je ne l'ai pas appelé. Pedro, je ne veux pas qu'il te voie.
L'OUVRIER : Je m'attendais à une chose comme ça. Mais moi aussi, j'ai une voix. Je peux descendre à la mer et l'appeler. Une phrase suffira, Teresa ; je connais Juan. Ce n'est pas un lâche. Tu ne pourras pas le retenir.
LE JEUNE HOMME : Et moi aussi je vais avec toi.
LA MÈRE (très calme) : Laisse mes enfants tranquilles, Pedro ! Je leur ai dit que s'ils s'en vont je me pendrai. Je sais que devant Dieu c'est un péché qui entraîne la damnation éternelle. Mais je ne peux agir autrement. Quand Carlo est mort comme il est mort, je suis allée trouver le padre, sans quoi je me serais déjà pendue à ce moment-là. Je savais fort bien que j'avais ma part de responsabilité, encore que c'était lui le pire. Nous ne sommes pas si heureux et ce n'est pas si facile de supporter cette vie. Mais avec le fusil ça ne va pas. a, je l'ai vu quand ils m'ont apporté Carlo et qu'ils me l'ont posé par terre. Je ne suis pas pour les généraux et c'est une honte de dire ça de moi. Mais si je me tiens tranquille et si je réprime mes emportement, peut-être, peut-être qu'ils nous épargnerons. C'est un calcul simple. C'est assez peu de chose, ce que je demande. Je ne veux plus voir de drapeau. Nous sommes assez malheureux.
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LA MÈRE : Mon frère ne me tient pas pour une bonne Espagnole. Il pense que je devrais laisser Juan partir au front.
LE JEUNE HOMME : Et moi aussi ! Notre place est là-bas !
LE PADRE : Vous savez, madame Carrar, qu'en toute conscience je tiens votre attitude pour justifiée. Dans beaucoup de régions le bas-clergé soutient le gouvernement légal. Sur les dix-huit diocèses de Bilbao, dix-sept se sont prononcés pour le gouvernement. Un grand nombre de mes confrères exercent au front. Quelques-uns sont déjà tombés. Mais moi je ne suis en aucune façon un combattant. Dieu ne m'a pas accordé le don d'appeler à haute et intelligible voix mes paroissiens à combattre pour… (il cherche un mot) pour quoi que ce soit. Je m'en tiens à la parole de Notre Seigneur : Tu ne tueras point ! Je ne suis pas riche. Je ne possède pas de couvent, et le peu que j'ai, je le partage avec ma paroisse. C'est peut-être la seule chose qui puisse, à une pareille époque, donner quelque poids à mes paroles.
L'OUVRIER : Sûrement. La question est de savoir, simplement, si vous n'êtes pas un combattant. Vous devez me comprendre. Par exemple, un homme qui est sur le point d'être tué et qui veut se défendre, si vous arrêtez son bras en lui disant : Tu ne tueras point ! de sorte qu'on peut le saigner comme un poulet, alors peut-être que vous participez quand même à ce combat, je veux dire, à votre manière. Je pense que vous m'excuserez si je dis ça.
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(Elle sort.)
L'OUVRIER : Dis donc, José, tu n'es pas le plus sot et on n'a pas besoin de tout t'expliquer en long et en large. Alors où sont-ils ?
LE JEUNE HOMME : Quoi ?
L'OUVRIER : Les fusils !
LE JEUNE HOMME : Du père ?
L'OUVRIER : Ils doivent pourtant être encore là. Quand il est parti, il n'a pas pu monter dans le train avec une chose pareille.
LE JEUNE HOMME : C'est ça que tu es venu chercher ?
L'OUVRIER : Quoi d'autre ?
LE JEUNE HOMME : Elle ne les rendra jamais. Elle les a cachés.
L'OUVRIER : Où ? (Le jeune homme montre un coin de la pièce. L'ouvrier se lève et s'apprête à y aller, lorsqu'on entend des pas. Il se rassoit rapidement.) Plus un mot à présent !
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Vidéo de Bertolt Brecht
Engagé à gauche, mais critique du régime d'Allemagne de l'Est, le dramaturge allemand Bertolt Brecht, traverse un demi-siècle d'histoire allemande et propose un théâtre marxiste qui fait réfléchir le spectateur sur sa condition.
Pour comprendre l'influence qu'a eue la Première Guerre Mondiale sur Bertold Brecht, Tiphaine de Rocquigny reçoit Irène Bonnaud, metteuse en scène et traductrice, et Hélène Camarade, professeure en études germaniques à l'Université Bordeaux-Montaigne, spécialiste de la résistance allemande et de la mémoire du national-socialisme.
#economie #histoire #bertoltbrecht ___________ Découvrez les précédentes émissions ici https://www.youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDrqogc4cP5KsCHIFIryY2f1h ou sur le site https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco
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