J’ai marché jusqu’à la bibliothèque, rembobiné la cassette de mon dictaphone et réécouté l’enregistrement de l’histoire de Sarah.
Une première fois.
Une seconde fois.
Puis j’ai attrapé un carnet et j’ai commencé à écrire.
C’était un miracle. Je n’avais plus peur de me retrouver devant une page blanche – comment aurais-je pu craindre quelque chose d’aussi insignifiant, après avoir cru mourir ?
Beaucoup de légendes courent à Crosswind. Certains prétendent que les vents peuvent répondre à toutes les questions que vous leur posez, à condition de savoir les écouter.
C'est moi qui t'ai transformé en ce gouffre de haine et de rancœur, tout comme tu m'as transformée en un puits de tristesse et de regrets.
J’avais toujours eu des soupçons sur l’origine de sa richesse – on ne fait pas fortune aussi rapidement en restant honnête.
Cette ville est incroyable. Jamais je n’aurais pensé qu’il puisse exister dans le monde pareil endroit, enveloppé de brumes et de mystères, replié sur lui-même… J’en viens à me demander si Crosswind n’a pas été créée pour mon esprit tourmenté ! Ces vents terribles, qui s’infiltrent dans chaque rue, qui s’enroulent autour des tours et des êtres, sont comme le spleen qui me ronge depuis des mois : une bise glaciale qui pousse et pousse encore, jusqu’à finir par atteindre les endroits qui lui résistent toujours. Oui, il semblerait bien que ma mélancolie ait trouvé ici un environnement qui lui convienne !
Les femmes de Hurlevent sont libres et entières. Coincées dans les carcans de l’époque, parfois piégées, elles continuent toutefois à se comporter exactement comme elles l’entendent, ne changeant pas à moins de l’avoir décidé.
Mais c’est un dernier point, plus marquant encore à mes yeux, qui m’a persuadée de me lancer dans ce projet : la note d’espoir qu’on voit surgir dans les ultimes pages des Hauts de Hurlevent, inattendue après tant de drames. Car si Catherine et Heathcliff ont choisi de se déchirer, c’est un tout autre chemin que leurs enfants décident d’emprunter, prouvant ainsi que les destins ne sont jamais tracés d’avance et que l’histoire n’est pas vouée à se répéter.
Même les cercles vicieux peuvent être brisés.
...il n’est qu’une autre forme d’égoïsme, puisque tous deux n’aiment finalement qu’eux-mêmes.
Ils disaient que rien d’autre au monde ne permet de transmettre autant de connaissances, autant de sentiments qu’un livre. Je ne suis pas une lectrice aussi assidue qu’ils l’étaient, mais j’ai parfois l’impression que toutes ces années passées à Crosswind m’ont… délavée. Peut-être que l’on perd de ses couleurs, quand on reste trop longtemps dans la neige, a-t-elle ajouté avec un sourire triste. Alors je crois que j’aimerais faire partie d’un livre. Oui, j’aimerais être au centre d’un flot de sentiments.
Il ne faut jamais laisser les fend-la-bise sentir votre peur, sinon ils deviennent fous.
Si vous aviez daigné vous renseigner au sujet des us et coutumes des habitants de cette ville, vous auriez appris que les fend-la-bise deviennent des compagnons appréciables lorsque advient la saison des tempêtes, a répondu Heathcliff avec emphase. Eux seuls sont capables de braver les vents de Crosswind pour porter les messages de leurs propriétaires de tour en tour. Comment commu- niquerez-vous avec l’extérieur lorsque l’électricité sera coupée, qu’il n’y aura plus ni téléphone ni Internet, et que vous vous retrouverez coincé pour des semaines entières à la cime de Ponden Tower ?