« Ni dans les couloirs de l'école,ni dans la cour, ni même dans les escaliers du fond, ceux qui mènent au local d'Arts plastiques et qui sentent le lait caillé.
Elles sont partout, comme leurs insultes griffonnées sur les murs.
Aujourd'hui, c'est sur la porte de la toilette du deuxième étage qu'elles ont écrit :
Hélène pèse deux cent seize !
Plus bas, elles ont rajouté,
...et sent le swing ! »
« Ne parlez plus à Hélène, elle n'a plus d'amies »
Hélène foule la neige, fend le froid, se tient chaud de quelques nouvelles lectures qui vont la mener vers d'autres chemins, bienveillants, ensoleillés, source de courage où elle puise, bois doucement.
Enfonçant son bonnet sur sa tête, Hélène fait le deuil des rires entre copines en feuilletant les magazines, des robes à volant de la Bamba qui faisait rêver Geneviève et Anne-Julie, elle porte ses nouvelles rondeurs et s'enfonce dans l'histoire de Jane Eyre.
L'oeil fatigué et le dos fourbu de sa journée devant sa Singer, la maman d'Hélène oublie son dos fourbu, oublie son oeil fatigué et prépare une robe crinoline à pois pour sa petite soit la plus belle pour aller danser.
Jane Eyre avait des robes impeccables, la coiffure bien faite, de l'amour à revendre malgré les écueils du passé. La petite qu'elle veillait dans sa condition de gouvernante ne se lassait de louer sa gentillesse, rendre grâce à son esprit. Quelle héroïne !
L'achat des maillots de bain sont une épreuve.
« Dans le maillot Monaco, je suis une saucisse Ballerine. Dans le Maillot noir, je suis une saucisse en deuil. Je suis une saucisse. Jane Eye a beau être orpheline, laide, battue, seule et abandonnée, elle n'a pas, n'a jamais été, ne sera jamais une grosse saucisse. »
Le miracle survient. Un jour, en forêt. Une chose incroyable, rousse, flamboyante de beauté, un feu-follet à moustache que Hélène a presque touché du bout des doigts. le renard lui aurait caressé les phalanges de sa langue rose et rappeuse si Suzanne Lipsky n'avait pas hurlé comme une idiote du fond de la tente des « has-been ».
Hélène perçoit une chose nouvelle, essentielle. La vie peut nous surprendre.
Arrive enfin Géraldine! Quel sacré numéro !
«
Jane,le renard et moi » d'
Isabelle Arsenault et
Fanny Britt est ce que l'on peut appeler un roman graphique. Plus qu'une bande-dessinée, ce one-shot pourrait se suffire par le texte et offrir la même histoire, la même sensibilité touchante, nostalgique.
Les illustrations viennent enrichir l'histoire qui bien que, référencée très rétro, reste un problème très intemporel et universel. Les auteures nous livrent la petite histoire de Hélène, Hélène et ses petites rondeurs adolescentes, incommodantes, raillées de ne pas porter des robes à la dernière mode, abandonnée à la popularité par ses meilleures amies et trouvant du réconfort dans ses livres, mille autres vies bien moins douloureuses que sa réalité. Les illustrations accompagnent de grisaille chaque petite anecdotes de sa vie d'ado, essayage de maillot de bain, ses tentatives pour être belle, Hélène porte ses petits complexes et s'arme avec les idées, la rêverie, l'écriture face aux mots qui fâchent, souri des tags mal orthographiés. Il y a sans doute une justice.
Et puis, la couleur survient, le renard est en somme annonciateur de quelque chose de plus grand que le quotidien, il perce le gris de son point sauvage, beau et indomptable.
L'imprévisible se produit et la couleur s'installe. Hélène noue une amitié avec Géraldine, une forte-tête espiègle qui se fait la meilleure des copines avec les recalées de la tente Has-been.
Les rires s'engouffrent sous la toile, les couleurs explosent, les joies se libèrent et portent les rondeurs. Hélène se sent légère, gonflée d'une belle énergie qui la révèle de nouveau.
C'est chouette les amies !
Nous basculons astucieusement entre le monde virtuel de Jane Eyre et le quotidien moins fantasmé, c'est bien vu. La lecture, on le voit, n'est pas qu'un refuge, il est un pilier sur lequel Hélène s'appuie en silence et lui permet de se poser fièrement. Elle a conscience de sa valeur, bien moins reluisante et clinquante.
Une belle histoire sur les complexes et sur l'amitié, la vraie !
Une chouette BD à découvrir, vraiment.