Agnès Grey

Déjà précédemment, (...), lorsque j'avais la nostalgie de mon pays, j'avais puisé à deux ou trois reprises à cette source secrète de réconfort. Maintenant, j'y recourus de nouveau, avec plus d'avidité que jamais, parce qu'elle me semblait plus nécessaire. Je conserve encore ces reliques de souffrances et d'expériences passées, comme ces bornes que plante le voyageur le long du chemin de sa vie, afin de marquer des événements particuliers.

Notre milieu habituel exerce une grande influence sur notre esprit et notre comportement, et cela est réciproque. Ceux dont les actions s'étalent constamment à notre vue, dont les paroles résonnent toujours à nos oreilles nous amèneront, même contre notre volonté, graduellement et sans que nous ne nous en apercevions, à agir et à parler comme eux. (...)
Et moi, qui étais incapable de réformer mes jeunes élèves, j'en venais à redouter d'être abaissé à leur niveau, sans cependant assimiler leur insouciance ou leur vivacité.

A mon retour à Horton Lodge, je me sentis très heureuse; Dieu merci, j'avais maintenant matière à réflexion, ce qui soulagerait la monotonie présente et l'ennui de ma vie solitaire car, en fait, je souffrais de ma solitude. De jour en jour, d'année en année, les courtes visites chez moi exceptées, je ne rencontrais jamais une personne à qui ouvrir mon coeur, à qui parler ouvertement dans l'espoir d'éveiller de la sympathie ou même de la compréhension; personne, si ce n'était la pauvre Nancy Brovvn, avec qui je pouvais échanger des pensées raisonnables, personne ne tout cas dont la conversation fût destinée à me rendre meilleure, plus sage ou plus heureuse, ou à qui mes propos eussent pu faire du bien. Ma seule compagnie avait été celle d'enfants peu aimables et de jeunes ignorantes écervelées; leur sottise harassante finissait par rendre la solitude complète un bienfait souhaitable et hautement estimé. Une pareille société constituait un danger, tant par ses effets immédiats que pour l'avenir.

-Si le bon Dieu veut bien me conserver la vue, de manière à ce que je puisse encore lire ma Bible, je serai heureuse comme une reine.

Toutes les histoires vraies portent avec elles une instruction, bien que dans quelques-unes le trésor soit difficile à trouver...

Mon dessein en écrivant les quelques pages qu'on vient de lire n'était pas de distraire mais d'instruire ceux qu'elles peuvent intéresser."(p.57)

C'est au mari à plaire à la femme, et non à la femme à plaire au mari. S'il n'est pas satisfait de la sienne telle qu'elle est, s'il ne se croit pas très heureux de la posséder, il n'est pas digne d'elle : voila tout.

J’éprouvai un sentiment de vigueur et de fraîcheur en traversant les rues ; et lorsque je fus hors de la ville, quand mes pieds foulèrent le sable, quand mon visage se tourna vers l’immense baie, aucun langage ne peut décrire l’effet produit sur moi par le profond et pur azur du ciel et de l’Océan, le soleil dardant ses rayons sur la barrière semi-circulaire de rochers escarpés surmontés de vertes collines, la plage douce et unie, les rochers au loin dans la mer, semblables, avec leur vêtement de mousse et d’herbes marines, à des îles de verdure et par-dessus tout la vague étincelante. Puis, quelle pureté et quelle fraîcheur dans l’air !

Mes prières, mes larmes, mes espérances, mes craintes et mes lamentations n'eurent d'autres témoins que le ciel.
Quand nous sommes tourmentés par le chagrin ou l'anxiété, ou longtemps oppressés par un sentiment profond qu'il nous faut garder par-devers nous, sans chercher à obtenir la sympathie de nos semblables; quand nous ne pouvons étouffer ce sentiment, ce que nous ne voudrions d'ailleurs pas, nous cherchons souvent un soulagement dans la poésie. Que ce soit dans celle des autres, qui semble s'adapter à notre cas, ou que nous tentions d'exprimer nos pensées et nos sentiments en vers moins mélodieux, peut-être, mais plus appropriés aux circonstances, rien ne calme et n'allège mieux un coeur endolori.

(...), il m'arrivait souvent de passer deux minutes entières à contempler mon image dans le miroir, sans toutefois retirer la moindre consolation de cette étude. Je ne découvrais aucune beauté dans ces traits marqués, ces joues pâles et creuses, ces cheveux châtain foncé si quelconques ; le front pouvait trahir de l'intelligence, les yeux gris marquer de l'expression, mais à quoi cela pourrait-il servir ? (...)
Il est sot de souhaiter être belle ; les personnes sensées ne le veulent pas plus qu'elles ne remarquent la beauté en d'autres. Pourvu que l'esprit soit convenablement meublé et que le coeur soit bon, on ne doit pas se soucier des apparences extérieures. C'est, tout au moins, ce que nous enseignaient les maîtres de notre enfance et ce que nous enseignons aux enfants d'aujourd'hui. Tout cela est fort judicieux et convenable, sans doute, mais l'expérience vient-elle le confirmer?