Vous voyez, monsieur, continuait le patron, ces gens, les « curistes » comme on nous demande de les appeler, ils s'effritent comme des vieux meubles rongés par les termites. Leurs os ne valent plus rien. Une traction un peu forte et crac ! Ça casse ! Alors ils vivent dans la terreur du choc, de l'effort. Certains sont tellement fragiles qu'on ne les autorise pas à soulever plus de vingt kilos par jour ! Ils ont des petits calepins sur eux pour noter le poids de tout ce qu'ils manipulent au cours de la journée. Ils font des additions, de peur de dépasser la limite tolérée.
Une femme maigre se tenait prostrée dans un recoin,les genoux ramenés sur la poitrine, en position fœtale. Les excroissances osseuses s'étaient à tel point ramifiées qu'on ne pouvait plus parler de cornes. Cela ressemblait plutôt à un réseau de tiges enchevêtrées, nouées en filet, et dont les prolongements descendaient vers le sol à la manière des branches d'un saule pleureur .oui, c'était exactement cela : un saule pleureur d'os.