Les âmes noires de Saint-Malo, tome 1

Il est bizarre ton cerveau. M’man dirait que c’est un clafoutis aux cerises sans les cerises mais avec les queues et les noyaux.

Louis Darcourt pointa son pistolet sur l’homme qui se tenait en face de lui. Il tendit à la jeune femme une corde à linge qu’il avait décrochée d’un clou puis s’adressa à l’individu :

— Tournez-vous et mettez les mains derrière le dos, votre femme va vous attacher les poignets.

— Ce n’est pas ma femme !

— Nous sommes juste fiancés pour l’instant, précisa la jeune fille d’une voix douce et angoissée.

— Serrez bien fort les nœuds !

La mer battait les rochers du Naye. Les travailleurs du matin attendaient dans le froid une barque pour Saint-Malo en subissant malgré eux les invectives que se lançaient deux bateliers pour une sombre histoire d’amarres qui n’étaient pas à la bonne place. Louis délaissa la cohue naissante, remonta son col et enfonça bien son chapeau ; il ne portait plus de pansement. Le Naye se voulait être un corridor à courant d’air. Quelle que soit sa provenance, le vent s’y engouffrait toujours. La présence des moulins n’était pas usurpée. D’ailleurs, les ailes tournaient à plein régime. Louis Darcourt remarqua de l’activité dans un grand baraquement en bois adossé au corps du moulin. Deux commis meuniers, fardeau sur l’épaule, venaient y entasser des sacs de farine. Il tenta de s’approcher de l’un d’eux mais celui-ci lui fit comprendre qu’il n’avait plus qu’un aller-retour à faire entre le moulin et le dépôt ; il pourrait discuter après.

— Je peux te dire quelque chose, Louis ?

— Vas-y !

— J’ai peur que tu fasses de ce crime une affaire personnelle. Ce n’est pas parce qu’un citoyen au passé plus ou moins trouble est assassiné dix ans après la mort de tes parents qu’il est mêlé à l’exécution de ceux-ci…

En effectuant le grand tour pour gagner la cité emmurée, ils firent une halte à l’hôpital général, situé sur leur itinéraire. Ce dernier se trouvait en bordure des Grèves de Chasles qui, bien qu’implantées sur la commune de Saint-Servan, étaient la propriété de Saint-Malo et sous son autorité.

Louis Hervelin serra les poings. Il maudit les excès de la révolution, lui qui à douze ans se réjouissait du vent de liberté qu’elle promettait. Il imaginait ses parents, humbles fermiers, débarrassés du joug du contremaître, des maîtres et de toute la clique, mais voilà que cette féodalité ne voulait mourir qu’au prix du sang ; le sang des innocents.