Les filles au lion

"Et les fiancés ! ajouta-t-elle avec un éclat de rire féroce. Ils sont tellement accessoires. Tu sais ce que veut dire "accessoire" ?
- Non.
- Secondaires. Pas importants. Ils ont des noms interchangeables, du style Philip, Ernest ou David. Ce n'est qu'un seul et unique visage flou, un homme sans contours. Le jour où j'ai dit que je ne voulais pas me marier, une de ces filles m'a répondu : "Tu ne peux pas comprendre, Olive. Tu es allée à Paris. Moi, je n'ai jamais dépassé Portsmouth." Comment peut-on être aussi bête ? Imaginer que se marier, pour une femme, c'est comme voyager !
- Peut-être ?"
Olive la regarda. "Il y a un tas de femmes malheureuses à Paris. Certaines sont les amies de mes parents. L'un d'elle est même ma propre mère.
- Ah bon ?
- Le mariage, c'est un jeu de survie", déclara Olive, et on aurait dit qu'elle répétait ce qu'elle avait entendu quelque part.

Elles sont tellement impatientes de s'enfuir, de changer de nom. Tout ça est tellement uniforme. Peut-être qu'elles aiment toutes se ressembler.

Les deux filles demeurèrent silencieuses un instant, à regarder les cerfs-volants tournoyer au loin. Teresa voulait juste que le temps s'arrête, qu'il n'existe rien d'autre que ce paysage et cette quiétude confiante. Avoir une amie pareille, il n'y avait rien de plus précieux au monde.

- Des sourires au bal, des pleurs dans la chambre. Elle est malade dans sa tête." Olive tapota sa tempe. "Et ici." Elle toucha son cœur. "Ça empire, ça va mieux. Puis ça empire de nouveau.

- C'est la fille d'une Gitane..
- Une Gitane ? C'est romantique !"
Il haussa un sourcil. "Et la sœur d'un socialiste. Je ne sais pas ce qui est le pire pour elle.

Il affichait un air sévère. "Les gens ont cette terre dans leur sang. Voilà pourquoi les propriétaires ont peur d'eux."

"Il y a un camp de gitans dans les collines", dit-il comme s'il ne l'avait pas entendue. "Ils ont perdu un de leurs garçons. Non, pas perdu, rectifia-t-il. Ils ne l'ont pas perdu. Il a été tabassé par un groupe d'hommes. Il avait douze ans. Il est mort.
- C'est affreux."

Ensemble, ils contemplèrent le paysage devant eux. Au loin, deux buses tournoyaient en quête d'une proie au sol. Le ciel était si vaste, les montagnes si robustes, que la seule violence possible en ce lieu semblait provenir de la nature elle-même.

Elle n'avait pas cessé de peindre depuis qu'elle l'avait rencontré. Elle travaillait sur de petites toiles, elle remplissait des carnets d'esquisses; c'était comme si elle s'était reliée à quelque chose, sans trop savoir quoi, et elle tremblait d'effroi à l'idée que cette longue veine d'inspiration se tarisse, mais sentait que tant qu'Isaac serait là, tant qu'elle serait disponible, ce souffle la porterait.

"Ce qui s'était déjà produit ? Des tombes fracassées et ouvertes dans des chapelles, les cadavres de bonnes sœurs sur le sol, dit Isaac. Des maisons comme celle-ci pillées." Tous les deux tournèrent la tête vers la finca et la silhouette derrière la fenêtre disparut rapidement. "On raconte qu'un prêtre a été arraché à sa sacristie et pendu à un arbre. On l'a retrouvé le lendemain matin avec les couilles dans la bouche.
- Isaac !" dit Olive en grimaçant. Le mot "couilles" la mettait mal à l'aise et elle avait l'impression d'être une gamine.
"Les journaux noircissent le tableau, mais ils ne cherchent jamais à savoir ce qui au départ a provoqué ces pillages. Donc, ce journaliste..