Citations sur Un avion sans elle (251)
— A ce qu’on dit, les losanges représentent les quatre points cardinaux… Celui qui offre une croix touarègue offre le monde…
— Je connais la légende, murmura Emilie d’une voix douce. « Je t’offre les quatre coins du monde parce que je ne peux pas savoir où tu mourras. »
Un crash d'avion dans le Jura. Une petite libellule de 3 mois tombe du ciel, orpheline. Deux familles que tout oppose se la disputent.
J’ai obtenu le résultat du laboratoire quelques jours plus tard. Si je vous dis que j’ai eu des remords, vous vous en moquerez tout autant. Je le signale juste pour vous expliquer pourquoi j’ai demandé un double à mon contact du laboratoire scientifique. Une seule analyse. Deux enveloppes. Une pour Mathilde de Carville, une pour Nicole Vitral. Je leur ai remis l’enveloppe bleue en mains propres.
Egalité.
Ainsi elles connaissent la vérité, depuis trois ans. La science a parlé ! Voilà ! Je pourrais en rester là, vous dire que j’ai filé les enveloppes aux deux familles et basta. Tchao, les mamys. Débrouillez-vous avec ça !
Mais je ne suis pas un ange. Non, bien sûr que non, je n’ai pas résisté à la tentation. Oui, je l’ai lu, ce résultat. Vous pensez, quinze ans d’enquête sans aucune certitude. Je me suis précipité sur le résultat comme un forçat qui après quinze ans de taule se rue sur une pute…
La métaphore est juste. Un putain de résultat.
Dire que ce résultat m’a surpris serait, comme on dit savamment, un euphémisme. J’en suis tombé sur le cul, oui, celui que j’avais entre deux chaises. Comme si quelqu’un là-haut, le Dieu ou la vierge du mont Terrible, continuait de se foutre de notre gueule. Un résultat absurde, risible, à fourrer toutes ces années de recherches dans un bûcher, et à m’y jeter aussi, ensuite, faute d’avoir trouvé la sorcière cachée derrière toute cette affaire.
Je ne le savais pas encore, mais ce jour-là, le 23 décembre 1986, j’ai commis une erreur. LA seule peut-être, en dix-huit ans d’enquête, mais, mon Dieu, quelle erreur ! Je pourrais me trouver toutes les excuses du monde. La neige, le froid, la fatigue, la malchance, les sarcasmes de Nazim, mais à quoi bon. Moi Crédule Grand-Duc, le méticuleux, le têtu, j’ai renoncé ce matin-là, j’ai manqué de courage, je ne suis pas allé jusqu’au bout de la piste. Une seule fois, je vous l’assure. La seule aussi qu’il ne fallait pas laisser filer.
Le 7 novembre 1982, j’étais pourtant encore en Turquie, depuis quinze jours. J’ai appris la nouvelle trois jours après, par Nazim. Mathilde de Carville n’avait même pas eu le tact de me prévenir. Pierre et Nicole Vitral avaient été victimes d’un accident, au Tréport, un peu avant l’aube, dans la nuit du samedi au dimanche. Pierre ne s’était jamais réveillé. Nicole luttait entre la vie et la mort. L’hypothèse de l’accidnet, vue d’Istanbul, était difficile à croire.
Déformation professionnelle ou conviction intime ? dans ma chambre de l’hôtel Askoc, j’ai eu brusquement la frousse, une frousse terrible, brutale. Pour la première fois, je me rendais compte que continuer de travailler sur cette affaire, pour les Carville, pendant des années de ma vie, c’était perdre ces années…ainsi que toutes celles qui me resteraient ensuite. J’ai continué, pourtant.
Journal de Crédule Grand-Duc.
Vous serez d’accord avec moi, je pense, pour les Vitral, pour les Carville, la vie est tout de même une sacrée salope… Elle leur annonce d’abord qu’un Air Bus s’écrase, qu’il n’y a pas de survivants, elle leur enlève d’un coup les deux générations sur lesquelles ils avaient construit leur avenir. Fils et petites-filles. Puis, une heure plus tard, elle leur annonce, radieuse, un miracle : l’être le plus petit, le plus fragile, a été épargné. Et l’on en vient même à être heureux, à remercier le ciel, à oublier la disparition de personnes si chères… mais la vie ne retire le poignard que pour mieux l’enfoncer une seconde fois. Et si ce petit être miraculé, la chair de votre chair, le fruit de vos entrailles, ce n’était pas le vôtre ?
Est-ce pour cela qu'ils font tant d'enfants, les pauvres ? Pour multiplier les chances de tomber sur le numéro gagnant ?
La fleur qui pousse au milieu des ronces . L'autodidacte de l'école républicaine. Le rêve américain version hexagonale , le jeune surdoué qui gravit seul tous les échelons, sans appuis, sans filet , du certificat d'études à Normale Sup ; qui tire sa force , sa hargne, de ses origines modestes; Partir de loin, si bas , fier à jamais de ses origines.
D'accord, le destin est comme les gamins dans la cour de récré, il s'acharne sur les plus faibles.
C'est curieux, pensa-t-elle, comme les lieux peuvent se transformer selon votre humeur. Comme s'ils devinaient, d'instinct, ce que vous avez dans la tête et vous accompagnaient. Comme si les arbres avaient bien compris qu'elle allait mal, et se faisaient alors discrets, recroquevillés, perdant leurs feuilles par solidarité, par pitié pour elle. Comme si le soleil s'était caché lui aussi, par pudeur, honteux de briller sur un parc où errait une fille en larmes.