Lyle et sa femme Peg coulent des jours heureux dans leur maison du Wisconsin depuis qu'ils sont à la retraite même si Lyle ne reste pas inactif. Il aide à l'entretien de pommiers appartenant à un couple de voisins, Otis et Mabel et n'est jamais contre boire une bière et discuter avec ses amis :
Charlie L ami d'enfance devenu pasteur, Hoots, le râleur-fumeur-retapeur de voitures dont le souffle n'est plus ce qu'il était. le couple a perdu un fils, Peter, âgé de 9 mois, un deuil qui reste une profonde blessure même si l'adoption de la petite Shiloh, a en partie comblé le vide laissé.
"De plus en plus, Lyle s'apercevait qu'il appréciait la tranquillité et la proximité des êtres aimés, sans problèmes à résoudre ni questions à auxquelles répondre ; il préférait apprendre à vivre plus légèrement, aimer plus intensément, manger mieux et, le soir, avant de fermer les yeux , lire un des nombreux livres de ses étagères, tout en sachant qu'il ne vivrait malheureusement pas assez vieux pour ouvrir tous ces oiseaux aux ailes blanches qui se perchaient sur sa poitrine dans la pâle lumière de la lampe de chevet, en attendant le bout du doigt humecté qui tournait en douceur leurs fines pages, dévoilait leurs histoires, poèmes e mythologies. (p57-58)"
Lyle imaginait une retraite paisible auprès de sa femme, Shiloh et son fils Isaac, 5 ans, qu'ils hébergent depuis quelques temps afin de permettre à la jeune femme de décider comment elle envisage son futur. Quelques signes vont alerter Lyle qui remarque que celle-ci prie, parle de sa foi à la moindre occasion et comme remède à tout, leur annonçant même qu'elle songe à s'installer au sein d'une communauté religieuse dirigée par un prédicateur, Steven, dont elle est amoureuse. Elle va être assez rapidement sous son l'emprise, spirituelle, morale et physique de cet homme, celui-ci déclarant reconnaître en Isaac un "guérisseur" capable de soigner ceux qui souffrent et privant petit à petit Lyle et Peg de la présence de leur fille avec qui ils n'arrivent plus à communiquer et surtout d'Isaac. La relation qu'entretenait les grand-parents avec l'enfant va peu à peu s'étioler par la mise à distance instaurée et lorsque Isaac va manifester des signes inquiétants mettant sa vie en danger, ils se sentiront impuissants et désarmés face à un couple brandissant la foi comme unique remède.
Lyle face à cette situation n'a pas toutes les clés et pourtant dans sa vie professionnelle il savait toujours trouver la solution à tous les problèmes mais les relations familiales ne peuvent se régler comme la mécanique avec un tournevis ou une clé à mollette. Il faut faire preuve de psychologie, de patience et de tact (et pour cela il peut compter sur Peg) s'il veut préserver la relation avec un petit bonhomme mais également avec une fille aveuglée par l'amour et la foi et qu'il voit emprunter des chemins que lui a abandonnés quand on lui a pris par le passé ce qu'il avait de plus cher.
Ce roman aborde de nombreux sujets qui pourraient se résumer à la perte : la perte de la foi quand on la juge injuste et responsable de ce qui vous a été enlevé, la perte annoncée de votre meilleur ami, la perte d'une récolte, et surtout la perte d'un enfant au nom d'un Dieu que vous ne reconnaissez plus et qui vous prive de ce qui embellissait votre vie.
L'auteur s'est inspiré d'une histoire vraie (parmi d'autres) pour aborder le drame des enfants mourant par manque de soins au nom de la religion, le faisant d'une manière douce et jamais agressive, Lyle étant le personnage central à travers lequel l'auteur ausculte à la fois le couple complice et vieillissant face à l'impossibilité d'agir sous peine de rompre le fil ténu qui les relie à leur progéniture mais également la force de l'amitié profonde, durable pour accompagner ceux qui mènent un dernier combat.
Voilà un roman dont on ne voudrait pas tourner la dernière page tellement on se sent bien à l'intérieur, tellement on se fait une place au milieu des personnages, des paysages, au fil des saisons, d'un printemps à l'autre. Malgré la gravité du sujet (et sa réalité) le roman dégage un parfum de calme et de profondeur par l'attitude des personnages face aux événements, cherchant toujours la meilleure issue sans provoquer la haine qui serait synonyme de rupture. Nous vivons au rythme des événements, des épreuves qui jalonnent l'existence de Lyle, remettant tout en question, tout ce qu'il avait bâti et dont il voulait profiter mais aussi concernant ses croyances et certitudes, faisant preuve de tolérance au nom de ce qu'il a de plus cher, sa fille et son petit-fils.
Nickolas Butler trouve le juste ton pour raconter une histoire d'amour familial confrontée à l'obscurantisme et à la manipulation mais avec l'intelligence du coeur d'un homme qui cherche à comprendre et se tempère même si la colère bouillonne, une colère qui pourrait lui faire rompre ses digues et c'est cette justesse de ton qui fait tout le charme du récit sans oublier la chaleur, la pudeur des relations amicales.
J'ai beaucoup aimé mon séjour dans le Wisconsin à partager le quotidien du charmant couple formé par Peg et Lyle, appréciant leur complicité dans les épreuves d'une retraite qu'ils auraient aimée plus sereine, appréciant de partager une bière avec Hoot, Charlie, Otis et Mabel qui sont à l'écoute de Lyle pour l'aider à y voir plus clair, ravie d'avoir vu les saisons défilées au milieu de belles personnes et ressentant de la révolte contre des religions qui mettent en péril des enfants au nom de leurs intérêts et leurs croyances.
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