Epuisé.e de la violence et de l'intensité de votre vie citadine, lassé.e par une vie devenue trop étriquée, « à la manière d'un pull devenu trop petit pour vous depuis longtemps », vous prenez la décision de tout plaquer et de fuir sur une petite île peu peuplée et reculée pour enfin vivre votre propre vie.
C'est le point de départ de ce récit poétique et bouleversant dans lequel nous entraîne
Tamsin Calidas.
Oban, petite ville portuaire écossaise, porte des îles Hébrides.
C'est sur un « croft » abandonné, déniché au hasard d'une petite annonce, perdu dans une de ces « îles battues par les vagues, que la narratrice et son époux jettent leur dévolu. L'emménagement sur une île des Hébrides est d'abord pour le couple la promesse d'un nouveau départ, placé sous le signe de l'amour et de l'espoir en l'avenir.
Rapidement pourtant, l'optimisme naïf des jeunes Londoniens est mis à rude épreuve : l'isolement insulaire, la défiance et l'hostilité des habitants face à ce couple « d'étrangers » venu s'approprier une terre qui ne leur appartient pas, font ressurgir les difficultés conjugales de plus en plus violemment. Peu à peu, alors que l'on entre dans l'intimité de Tamsin et Rab, on les voit s'éloigner inéluctablement jusqu'à la rupture définitive du fil de leur vie commune et au départ de Rab.
Je suis une île se présente d'abord comme une exploration subtile de la solitude.
De plus en plus seule et ostracisée, coupée du monde et des siens, la narratrice va devoir faire l'expérience ô combien douloureuse de la solitude. Est-il possible de l'apprivoiser, de ne pas se laisser aller quand on est loin des siens, de donner un sens à son existence ? de la souffrance à l'apaisement, du renoncement à l'espoir, de la survie à la renaissance, la solitude devient pour la narratrice une expérience fondatrice, à la fois « sauvage et libératrice » grâce à laquelle elle dénoue peu à peu les fils de sa vie passée.
Je suis une île est aussi un récit sensible sur la quête de soi.
Entre la jeune femme et la nature, alliée « redoutable mais féconde », se noue au fil du récit une relation fusionnelle et charnelle qui lui permet de « se connecter profondément à ses instincts et à une voix plus primitive ». Libérée de toute entrave sociale et familiale, la rencontre avec le vent, la mer, la faune et la flore, devient un corps à corps cathartique grâce auquel la narratrice apprend à explorer son intériorité la plus intime. de ces pages qui voient cette part du moi insoupçonnée se révéler émane un souffle poétique vibrant et intense.
Je suis une île, est enfin un témoignage bouleversant de résilience.
Si l'expérience insulaire, d'une déflagrante intensité, laisse à plusieurs reprises la narratrice aphone et démunie, son courage et sa détermination forcent l'admiration. A l'instar de ce « tout petit roitelet huppé » dont la résilience la fascine, c'est en acceptant de mettre à nu ses émotions, de les « dépecer » qu'elle réussit à « démêler l'écheveau de sa vie ». On comprend que ce travail introspectif est douloureux et lancinant, tant il fait ressurgir la violence du passé évoquée pudiquement, mais aussi celle du présent. Pourtant, il s'avère nécessaire à la reconstruction de son moi intime et de son lien avec les autres. le récit se fait alors l'écho de ces « fils » intrinsèques que dénoue la narratrice pour les retisser plus authentiquement : si elle raconte, comment cette reconstruction s'éprouve d'abord physiquement grâce à la nature qui la fait renaître au monde, l'on perçoit le besoin de plus en plus vital d'exprimer ses émotions. La couture, la musique, puis les mots deviennent alors les partitions sensibles de ce retour à la vie : les phrases qui résonnent comme de vibrantes maximes et affluent quand on progresse dans le récit en sont le plus beau témoignage.