Nous sommes dans l'Italie des années 2000. Gaia, la narratrice, vit dans une famille modeste, tenue d'une main de fer par la mère, Antonia. Une mère volontaire, au tempérament fort et fier, qui tente, non sans peine, de subvenir aux besoins de tout son petit monde.
La scène d'ouverture nous dévoile toute la ténacité et le courage de cette femme, qui tient bon et qui résiste pour obtenir ce à quoi elle a droit. Antonia se tue à la tâche et ne se laisse jamais abattre. Elle est le roc de cette famille, celle sur qui tous se reposent en toutes circonstances, celle qui prend toutes les décisions.
Massimo, le père, handicapé suite à un accident du travail, traîne sa peine depuis son fauteuil roulant. Mariano, le fils aîné, né d'un autre père, est en constante rébellion, “un courant d'air suffit à l'électriser”. Quant aux jumeaux, ils sont encore petits. Alors Antonia place tous ses espoirs en sa fille Gaia. Elle attend d'elle qu'elle travaille bien à l'école, qu'elle obtienne les meilleurs résultats, qu'elle aille à l'université et qu'elle trouve un bon travail. Elle doit s'extraire de sa condition, dépasser ses limites, c'est sa seule chance de faire un pied de nez à la société et de vivre une autre existence que celle déterminée par sa naissance.
C'est une forte pression sur les épaules d'une enfant. Une enfant qui, comme tous les enfants, ne veut pas décevoir, et qui va apprendre à se battre bec et ongles pour avoir sa place. Difficile, surtout quand vous n'avez rien. Quand, pour vous permettre d'atteindre vos objectif, le reste de la famille doit faire des sacrifices et se priver de choses souvent essentielles. Alors Gaia sait qu'elle n'a pas le droit à l'erreur.
C'est un roman qui exhale une rage obstinée, qui nous vient de la narratrice. A chaque étape de sa vie, la réalité nous assaille, la pauvreté, le mépris et la différence qui fait mal. D'autant plus que Gaia nous offre une image d'elle-même assez peu sympathique. Elle ne s'aime pas et par mimétisme, nous ne l'aimons pas vraiment non plus. Ses cheveux roux, ses taches de rousseur, physiquement non plus, elle ne s'aime pas. D'ailleurs, la jalousie la prend souvent en otage, tel un parasite. Les garçons qui la regardent à peine et ses amies qui ont tout, la beauté, l'argent. Alors quand la trahison s'invite, sa carapace se fait plus dure, plus solide, inviolable. le coeur et le corps se désolidarisent, et elle n'est plus qu'un être froid et détaché, une machine sans émotions.
Il est délicat de s'attacher à cette narratrice, d'éprouver une quelconque sympathie à son égard. Pourtant, on la comprend et on imagine combien la vie est ingrate parfois. On sait qu'au fond tout ceci n'est qu'une façade, un moyen de survivre, de se protéger pour avancer et atteindre son but. Peut-être qu'ensuite, l'eau du lac sera enfin plus douce. En attendant, on subit sa jalousie, sa colère et sa vengeance. Mais quand celle-ci devient démesurée, complètement disproportionnée, alors non, vraiment, on ne veut plus cautionner, on ne veut plus excuser, seulement que cela cesse.
“
L'eau du lac n'est jamais douce” est un roman d'apprentissage. Un terme qui prend tout son sens ici, avec Gaia à la fois personnage et sujet du récit, qui évolue en faisant l'expérience de la vie. Enfant, adolescente puis jeune adulte, sa personnalité s'esquisse puis s'affirme en fonction de son environnement, de ses interactions, de ses possibilités.
Pour ma part, j'aime beaucoup ce type de récit, que je trouve toujours intéressant et intense à lire.
Giulia Caminito met en lumière les injustices, les difficultés sociales, sans pour autant prendre position. Une neutralité qui se ressent tant dans l'écriture que dans le manque d'empathie de la narratrice. Présenté de cette façon, c'est un roman qui paraît sombre et noir, mais étrangement il ne l'est pas. C'est une Italie aussi colorée que sa magnifique couverture française. Certes, l'histoire n'est peut-être pas aussi douce que son titre, mais elle est passionnante à lire.
Un roman qui, par certains côtés, m'en a rappelé d'autres, “L'amie prodigieuse” d'
Elena Ferrante, notamment. Ce n'est pas tant l'histoire qu'une certaine ambiance, le personnage féminin central, la pauvreté, ou encore l'Italie.
Dans la version audio, l'interprétation de
Florine Orphelin apporte un peu de douceur et de légèreté au personnage de Gaia. Elle a largement contribué à me la rendre moins antipathique. Son timbre de voix est véritablement plaisant et j'avais sans cesse le désir de me replonger dans mon écoute. J'ai aimé son interprétation, j'ai aimé y retrouver cet humour particulier, souvent sarcastique, qui pimente le récit. Un roman qui m'aurait sans doute paru moins abordable dans sa version papier et que l'écoute a aidé à rendre moins amer, voire même plus passionnant.
Ma chronique complète est sur le blog.
Caroline - le murmure des âmes livres