En 2002, Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, introduit le concept d'« Anthropocène ». En mettant en lumière la responsabilité humaine dans la crise environnementale actuelle, ce concept a permis l'émergence d'un débat intéressant, parmi les historiens et au-delà. Pointer une responsabilité humaine ne pouvait en effet que poser la question d'une (contre-)action humaine pour dévier la trajectoire.
Toutefois, ses défauts étant nombreux, et lourds de signification,
Armel Campagne, à la suite d'autres historiens, invite à lui préférer le concept de Capitalocène. Il en donne ici les raisons, en se basant principalement sur le débat outre-Atlantique entretenu par des auteurs comme Paul Crutzen,
Andreas Malm, Jason Moore, Daniel Cunha,
Immanuel Wallerstein,
John Bellamy Foster ou encore
Dipesh Chakrabarty.
Pour le dire rapidement, les principaux griefs que l'on peut retenir contre le récit de l'Anthropocène sont :
Une vision essentialisante de l'humanité, présentant l' « espèce humaine » comme une abstraction homogène et qui nous enferme dans une conception globalisante, sans aucune différenciation des responsabilités
Un récit au caractère néo-malthusien insistant sur la croissance démographique comme une fatalité entraînant l'humanité vers le chaos
Enfin, une représentation anhistorique de l'humanité qui met en avant l'idée d'une « nature humaine » pyrophile, l'invention du feu, puis la machine-vapeur (i.e. la technique), étant présentée comme les péchés originels qui auraient irrémédiablement conduit l'humanité au désastre.
En réalité, l'histoire de l'humanité dément formellement plusieurs points constitutifs du grand récit de l'Anthropocène. C'est ce que démontrera
Armel Campagne en esquissant une histoire du « capitalisme fossile », à savoir ce moment où la société capitaliste a basculé vers une énergie fossile susceptible de bouleverser le climat.
Le concept de Capitalocène a émergé en 2009, proposé par Jason Moore et
Andreas Malm, et sera repris quelques années plus tard par d'autres historiens marxisants. Comme on va le voir au fil des réflexions d'
Armel Campagne, il ne s'agit ici nullement de s'arrimer à la vieille théorie marxiste traditionnelle, généralement considérée comme productiviste, donc peu compatible avec une véritable lutte écologique.
On voit bien aujourd'hui, malgré les nombreux plans de verdissement de façade, à quel point la société capitaliste moderne se révèle incapable d'affronter les enjeux climatiques présents comme futurs. le capitalisme, dans son fonctionnement général, semble indifférent à ses conséquences écologiques, traitées comme des « externalités négatives ». Cependant, relativise l'auteur, le système capitaliste n'est pas hors sol. Il a besoin d'un milieu qui ne contrarie pas ses activités. Ainsi, « le capitalisme ne va pas se désintéresser complètement du dérèglement climatique, mais lutter contre celui-ci uniquement là où il perturbera ses activités économiques, et ce par des mécanismes générateurs de profits (marché du carbone) ou peu coûteux (géo-ingénierie) » (p23).
La fameuse « transition énergétique » est depuis longtemps dénoncée comme pure illusion. L'auteur doute que l'on puisse parler, même au futur, d'une transition du capitalisme fossile vers une autre forme (verte, durable, décarbonée ?) : « il reste difficilement concevable qu'on assiste à une fin du capitalisme fossile » en raison, entre autres, du « lock-in technologique (surdéveloppement des infrastructures et des technologies fossiles) et une dépendance de trajectoire (path dependency) », si bien « qu'il n'y aura vraisemblablement d'expansion des énergies renouvelables au cours du XXIème siècle que sous forme d'une addition énergétique […] Et ce, en raison des dizaines d'années de réserves de charbon (150 ans), de gaz (60 ans) et même de pétrole (40 ans) au niveau actuel de production, de leur rentabilité » (p27). Donc, conformément à ce que l'on observe depuis des décennies, malgré les nombreuses alertes scientifiques depuis les années 70 (Rapport Meadows), aucun changement significatif ne semble être au programme.
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