Suicide Risk, tome 3

Ce tome fait suite à Nightmare scenario (épisodes 6 à 9) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé cette série avec le premier tome. Celui-ci comprend les épisodes 10 à 13, initialement parus en 2014, tous écrits par Mike Carey. L'épisode 10 est dessiné et encré par Jorge Coelho. Les épisodes 11 à 13 sont dessinés et encrés par Elena Casagrande, avec l'aide de Michele Pasta pour l'encrage de l'épisode 13. La mise en couleurs de ces 4 épisodes est réalisée par Kelly Fitzpatrick pour l'épisode 10, par Andrew Elder pour les épisodes 11 à 13.

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- Épisode 10 - Hailey Beckman fait sa proposition habituelle à un représentant qui s'est fait larguer par sa copine. Moyennent 5000 dollars, elle lui propose de lui donner des superpouvoirs. Ce monsieur se rend au rendez-vous fixé, et il est activé avec la P-Wand. Mais un groupe de 3 gardiens (des êtres anthropomorphes) apparait de nulle part et ils l'abattent froidement, avant d'essayer de capturer Hailey Beckman et son acolyte Jed McManus.

Dans le tome précédent, Mike Carey avait déjà utilisé ce dispositif narratif : un épisode en guise d'interlude pour qu'Elena Casagrande ait le temps de réaliser les épisodes de l'intrigue principale. le lecteur ne se formalise donc pas de découvrir un deuxième épisode de ce type. En fait, il est même plutôt surpris car il ne s'agit pas d'une histoire secondaire. le scénariste revient sur les 2 profiteurs à la petite semaine qui déclenchent des superpouvoirs pour une somme finalement dérisoire. le lecteur découvre leur histoire personnelle, leur motivation, ainsi que le fait qu'ils sont suivis. Comme à son habitude, Mike Carey sait insuffler une personnalité, même à des personnages très secondaires, qui sortent ainsi du simple état d'outil narratif. Il intrigue ses lecteurs avec l'intervention de Gardiens, avec la fonction réelle de la baguette P (P-wand). En fait, il s'agit d'un épisode essentiel à l'intrigue principale, dans lequel le scénariste élargit le champ de l'intrigue, modifiant le sens des événements observés jusqu'alors.

Jorge Coelho réalise des dessins descriptifs avec un bon niveau de détails. Il s'attache aussi bien aux personnages qu'aux décors, les détourant d'un trait fin et précis. le lecteur peut facilement se projeter dans chaque lieu : ruelle discrète, banlieue résidentielle, chambre d'hôtel à prix modique, centre d'observation des Gardiens. Les expressions des visages sonnent justes. Ce dessinateur s'applique avant tout pour raconter l'histoire, sans en rajouter dans le spectaculaire.

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- Épisodes 11 à 13 - Sunita Winters a décidé de reprendre son travail et elle se présente à la boutique de décoration d'Helen qui l'accueille avec plaisir. Peu de temps auparavant, à Mexico, la personnalité de Requiem a pris le dessus sur celle de Leo Winters et s'est rendue maître de son corps. Il a interrogé Just A Feeling (Christina Sewell, l'un des membres du groupes Nightmare Scenario) en l'appelant Guesswork, son précédent nom. Insatisfait des réponses, il l'a laissé en plan sur une route au beau milieu d'un désert. Il se rend directement dans le magasin de céramique où travaille Sunita Winters pour tirer son identité au clair. Pendant ce temps-là, Mortimer Giffin (le supercriminel se faisant appeler Doctor Maybe) recouvre sa liberté au prix de la vie de plusieurs de ses gardes.

Dès le premier tome, le lecteur avait pu constater que Mike Carey avait construit un récit fonctionnant sur le principe de révélations fracassantes et de retournements de situation réguliers. Ce troisième tome poursuit dans le même genre de récit. Il réussit à insuffler un minimum de personnalité aux principaux protagonistes, de manière à ce qu'il ne soit pas réduit à une simple mécanique désincarnée. le premier tome avait permis de donner des motivations personnelles à Leo Winters, de développer sa relation avec sa femme et sa fille, son fils n'ayant pas droit à beaucoup de cases. Sa participation à l'équipe Nightmare Scenario l'avait amené à interagir avec Just A Feeling (Christina Sewell) constituant ainsi l'occasion de la découvrir. L'absence de Leo Winters avait provoqué des réactions de la part de sa femme, permettant d'observer son comportement et d'apprendre à la connaître un peu plus. Ce tome évoque l'histoire personnelle de Requiem, et Mortimer Griffin joue un rôle important. le lecteur voit des personnages disposant chacun de leur motivation, avec un caractère qui leur est propre. Cela lui permet de ressentir les enjeux émotionnels. Cela permet aussi une plus forte implication dans les enjeux. À la lecture, il se rend compte qu'il n'éprouve aucune difficulté à se souvenir de qui est qui et qui a fait quoi. Ça peut avoir l'air d'un minimum pour un récit, mais c'est assez difficile à réaliser quand les révélations successives changent le statut des personnages, et le sens de leur passé.

Le lecteur se rend également compte qu'il est fortement impliqué dans cet imbroglio. Il souhaite savoir qui est ce mystérieux Requiem dont la personnalité est en passe de supplanter celle de Leo Winters (pourtant le personnage principal). Il regarde avec inquiétude les face-à-face, sans pouvoir prévoir comment ils se termineront ou qui aura le dessus, ni quelles en seront les conséquences. Il essaye d'anticiper quelles seront les prochaines révélations, de détecter des indices qui pourraient permettre de détecter des demi-vérités. Il voit apparaître avec plaisir les Gardiens de l'épisode 10. Mike Carey joue très habilement sur les attentes du lecteur et sur les schémas qu'ils peuvent imaginer. Il a commencé son récit sur la base d'individus acquérant des superpouvoirs, ce qui inscrivait le récit dans le genre superhéros. La deuxième partie du tome 1ajoutait une couche de mysticisme avec une étrange déité. le deuxième tome revenait dans le registre des supercriminels commençant à se tailler une part du gâteau de manière plus adulte, avec une plus grande envergure. Ce tome-là change à nouveau la nature du récit, avec une explication sur la nature réelle de la baguette P, explication qui rend cohérents beaucoup d'événements dont la concomitance ne faisait pas sens.

Pour ces 3 épisodes, le lecteur retrouve les dessins d'Elena Casagrande. Elle représente des formes un peu plus simplifiées que Jorge Coelho, avec une densité d'informations un peu moindre. Néanmoins le niveau d'immersion du lecteur reste satisfaisant car elle prend soin d'intégrer des informations visuelles sur les lieux dans chaque page. le lecteur voit que Sunita Winters travaille dans un magasin vendant de céramiques, sans que les dialogues n'aient besoin de le préciser. L'agencement du magasin donne une impression pas entièrement convaincante, mais les produits sont aisément reconnaissables. le lecteur situe facilement chaque scène : à Mexico, sur une route au beau milieu de nulle part, dans le monde des Gardiens, dans un restaurant. Il n'y a que la séquence décrivant la bataille d'Alarstone qui se déroule dans un endroit dépourvu de toute caractéristique géographique.

Au fil de toutes ces séquences, Elena Casagrande montre ses talents de metteure en scène. Il y a plusieurs moments dans lesquels les dessins montrent des endroits ou des actions totalement inattendus, avec assez de détails pour qu'ils existent et soient reconnaissables par la suite. le récit de Carey repose sur plusieurs face-à-face au cours desquels les personnages échangent des informations. Elena Casagrande sait composer sa prise de vue de manière plus sophistiquée qu'une simple alternance de têtes en train de parler. En particulier, il y a une longue scène dans un restaurant avec 2 personnages attablés, et la dessinatrice parvient à conserver un intérêt visuel tout du long de leurs échanges. Si le lecteur a lu un peu trop vite, il découvre dans les 3 pages de recherches graphiques en fin de volume que la conception des personnages est assez détaillée, puisque les 3 principaux Gardiens (Zero, Kess et Asra) disposent chacun de leur code couleurs. Andrew Elder effectue un solide travail de mise en couleurs : ajoutant discrètement quelques textures pour compléter les dessins, jouant sur les dégradés de couleurs pour ajouter du relief aux surfaces sans en abuser, variant les couleurs pour que chaque objet ou personnage délimité par un trait de contour se détache clairement de ceux d'à côté.

Ce troisième tome confirme que le lecteur est bien accroché par l'intrigue, incapable d'anticiper ce qui va se produire, et attaché aux personnages. Mike Carey a construit un scénario qui privilégie les rebondissements et les révélations, mais sans oublier complètement ses personnages. Elena Casagrande réalise des dessins pas forcément très spectaculaires ou très séducteurs, mais qui comprend tous les nombreux éléments du scénario. Sous des dehors de série un peu artisanale, les auteurs mettent en oeuvre tout leur savoir-faire pour un thriller à base de superpouvoirs, qui tient ses promesses et même les dépasse.