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Citations sur L'Aile tatouée (9)

Mircea était venu au cénacle à reculons, amené presque de force par Hermann. Même s’il écrivait — et il avait déjà écrit des milliers de pages —, il sentait que ce n’était pas dans les poèmes ou les romans qu’il fallait chercher la vérité, que ce n’était pas la voie pour y arriver. Bien entendu, dans son adolescence, il avait lui aussi écrit de la littérature, il y avait cru, que le monde n’existe que pour permettre l’écriture d’un beau vers et il avait rêvé au roman qui remplacerait l’univers. Il avait écrit des poèmes d’amour désespérés qu’il n’adressait à personne, de fantasques allégories, il avait chanté librement la mort, les cyprès, les enfers. Mais il avait surtout rêvé des livres, des livres entiers, qui portaient son nom mais dont il ne se souvenait pas de les avoir écrits. Une nuit, il avait rêvé tout un livre de nouvelles, au sujets gracieux, inattendus, enthousiasmants, émouvants jusqu’à l’horreur sacrée, jusqu’au vertige, un livre écrit à la main, de son écriture, et qu’il avait passé sa nuit à lire, fébrilement. [...] et rien de la gloire et de la turpitude de la vie ne lui était étranger.
(p.241/243)
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L'univers vieillit, se flétrit et doit finir, mais je ne peux accepter que maman aussi, c'est injuste, c'est ridicule. Elle perçoit elle aussi cette perversité astrale, le temps dans son irréversible dilatation éloignant les hommes, noyant les photos, détruisant l'amour, la vie, la jeunesse, l'espérance et, surtout, nous séparant de nous-mêmes, l'exilant, elle, de Maria, la fille d'un cil de lumière à l'aube de ses jours, comme si nous tous, qui un jour jugerons les anges, nous vivions ici, sur terre, une tragique métamorphose à rebours : de paresseux lépidoptères naviguant sur les mers d'iridium au seuil de notre jeunesse, nous devenons chenilles, lombrics, vers aveugles, mille-pattes et scolopendres, notre peau vieillit, vaincue, porteuse de mille blessures de notre corps répugnant, suppurant d'inutiles salives.
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[...] le plus merveilleux palindrome jamais imaginé, et qui, de plus, représentait l'anagramme de tous les noms des constellations émaillant le ciel nocturne  :
INGIRVMIMVSNOCTEETCONVMIMVRIGNI
(Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu)
(p. 354)
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[...] les blagues, cette trousse de survie du Roumain. (p. 312)
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Les papillons, disait Hermann. Ce n’est pas l’oiseau, mais le papillon qui a été pour les Grecs et pour ceux qui les ont précédés le symbole de l’âme et de l’immortalité. Sans son image symétrique et étrange (les insectes, qui sont comme nous, faits d’ADN, de protéines et d’instinct de survie, représentent pourtant tout ce qu’il y a de plus monstrueux et de plus fascinant, car ce sont des mécanismes de chair, de nerfs, des vacuoles, des dards et des appareils buccaux fonctionnant en dehors de toute conscience), sans son image, donc, nous n’aurions jamais compris la logique de la résurrection et, c’est certain, nous aurions ignoré le fait que nous avons une âme immortelle. Le papillon a inventé l’âme humaine. Il nous a été donné comme symbole vivant et parfait de notre situation sur cette terre où coulent lait, miel, sang et urine.
(p. 231-232)
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« Malheureusement, les amis, il faut regarder la réalité en face : nous sommes fatigués, malades, ruinés. Les pluies nous ont lavés, les vents nous ont léchés. Je… vous aurais bien guidés dans l’assaut final, car je ne suis plus à un Palais d’Hiver près, mais… (ici la statue se voûta et des gouttes de métal fondu lui coulèrent le long des joues) … je suis compromis, mes frères, les capitalistes m’ont totalement démonétisé… » Lénine était secoué de sanglots, appuyé contre les murs de l’université, si bien que de plus en plus de guirlandes et de mascarons de plâtre se brisaient sur son dos. Le bâtiment entier vibrait d’ailleurs dangereusement. Dans une des tours de tôle donnant sur la place, un terroriste en costume noir de tankiste et la cagoule sur la tête tressaillit dans son sommeil, serrant plus fort contre lui son pistolet automatique. C’était pas juste ! Le boulot ne devait commencer qu’à six heures du matin ! Il passa la tête par l’œil-de-bœuf et contempla d’un air las l’océan de statues. Que voulaient encore ces merdeux couverts de fientes ?
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Chaque matin, elle disparaît quelque part. Elle rentre bleuie de froid, des cernes sous les yeux. Même si elle rapporte un paquet de griffes et de cous de poulet, même si elle a réussi ce miracle-là, elle a l’air perdu et mauvais : elle nous a apporté à becqueter, qu’on s’en mette jusque-là, qu’est-ce qu’on sait, nous, de ce que ça veut dire faire la queue de cinq heures du matin à… regarde, il est presque midi ! Qu’ils aillent tous au diable, qu’est-ce qu’y veulent qu’on mange ? Ça non, ça non… regarde pour quoi j’ai attendu à me geler les os ! Et maman déballe sur la toile cirée un petit tas humide de pattes de poulet, cadavéreuses, aux griffes crispées, coupées juste sous le manchon, car le manchon part avec les cuisses, à l’exportation… Les gens se battent pour ces morceaux pleins d’écailles qui ressemblent à des reptiles. Une autre fois, elle pose sur la table un gros morceau de « jambon ». Personne ne sait de quoi c’est fait. Ça tremble comme de la gelée. On y trouve comme du chiffon. Dans la bouche, ça fond en cartilages et en quelque chose de farineux. On ne peut déterminer si l’odeur d’essence provient du camion qui l’a transporté ou s’il est composé de je ne sais quels produits artificiels. « Qu’ils aillent se faire voir ! » Maman ne se retient plus. Elle en a assez. Elle ne parvient plus à faire face. Et ce n’est pas de morfler, de se bousiller les jambes à faire la queue ni de rentrer avec des glaçons dans les sourcils, non, c’est de ne plus avoir quoi nous donner à manger alors que c’est toute sa raison d’être depuis qu’elle est en âge de comprendre. Et ça la rend folle.
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Je dors sur le dos, inerte gisant de roi, sur son caveau. Dans la profondeur de mon lit gît une charogne enveloppée de chiffons. Au-dessus, mon spectre plongé dans le sommeil. Vide et inconsistant, taillé dans une craie couleur d’ambre. Enveloppé dans les draps, je ressemble, du plafond d’où je me regarde, à un cocon tissé de fils de soie. Mes paupières closes sont les bosses du rêve. Elles recouvrent à présent tout mon visage. L’ombre de mes cils court en oblique sur mes joues à chaque passage du tram sur la chaussée, occasionnant des étincelles au contact des fils humides. Mes globes oculaires glissent lentement sous les paupières, on les entrevoit vitreux, sous la peau fine et translucide. Puis ils plongent dans la chair frémissante du cerveau, comme des petites cornes d’escargot se retirant dans leur coquille.
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C’était en l’an de grâce 1989. Les hommes entendaient parler de guerres et de révoltes, mais rien ne les effrayait, car tout cela devait advenir. C’était comme aux jours de Noé : tous buvaient, mangeaient, se prenaient pour femme ou pour mari, comme ils le faisaient déjà au temps de Nimrod le puissant chasseur, et comme le feraient aussi leurs enfants, espéraient-ils, et les enfants de leurs enfants, pour des siècles et des millénaires. Aucun d’eux ne vieillirait ni ne mourrait, sa descendance ne s’éteindrait jamais, l’homme affronterait et serait le vainqueur de tout cataclysme, jusqu’à la nuit des temps. Et si le Soleil se transformait en une géante rouge et englobait une par une toutes les planètes alentour, les hommes, qui entre-temps auraient appris à voler, migreraient vers d’autres constellations où ils mangeraient, boiraient et se prendraient encore pour femme ou pour mari. Et si l’univers en éternelle expansion se refroidissait peu à peu jusqu’à l’extinction finale, les hommes passeraient par des hyperespaces et des trous de ver dans des univers parallèles, des univers enfants, des mondes évolués et soumis à la sélection darwiniste pour pouvoir les abriter eux, les immortels, afin qu’ils puissent boire et manger encore. Aucun Elohim n’existait encore pour dire : « Cessez de compter sur l’homme, qui n’a qu’un souffle dans ses narines ; car quel cas peut-on faire de lui ? »
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