Ce recueil de 20 nouvelles est présenté comme un "petit joyau à la gloire de l'éternel féminin". Même si cette présentation est à mon avis un peu excessive, elle met en tout cas en lumière le regard d'un homme sur les femmes qui ont jalonné sa vie, et pourquoi, lui, aime les femmes. Un regard qui butine à travers les époques, les pays, les aspirations : un regard d'adolescent, d'amant, de mari, d'ami, d'homme ; un regard tour à tour tendre, nostalgique, fasciné, magnifié, coupable, onirique. 20 nouvelles, 20 regards, et quelques clins d'oeil.
L'écriture est brillante, inspirée (?) et pleine d'humour, voire d'autodérision. L'auteur semble se confier à nous et nous entraine dans une atmosphère calfeutrée. Il effeuille ses brides de souvenirs et portraits de femmes par petites touches juxtaposées, d'apparence désordonnées, qui ne révèlent leur essence véritable que lorsqu'on les contemple dans leur ensemble, avec un peu de recul. Car au delà de sa vision des femmes, et des émotions qu'elles lui inspirent, ce sont aussi des réflexions sur la complexité des sentiments, sur l'homme qu'il est, ou dit être, et sur le bonheur.
Ce recueil sur l'altérité féminine, sensuel et amusant, est vraiment un plaisir à lire et une bien belle découverte ! Un grand MERCI à Tandarica de m'avoir fait découvrir ce livre et cet auteur.
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Très bonne traduction, quoique l'auteur, dont c'est incontestablement le livre le plus facile à lire, puisse en penser (voir cependant note 1 page 145). Malgré un titre et une couverture plutôt conventionnels, le féminin est représenté aussi par le livre (« cărţi » en roumain est féminin et les « Nouvelles » de Salinger un livre culte pour moi aussi), la présence des villes (Braşov, Paris, Amsterdam, Turin), l'anglais comme langue étrangère et la chanson. C'est aussi, à mon sens, le livre le plus drôle de Cărtărescu.
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Quelle belle découverte que celle de ce livre, et de cet auteur. J'ai été tellement séduite que je l'ai offert autour de moi. Portraits de femmes, traces qu'elles ont toutes laissé dans la vie de cet homme. Ecriture fluide, brillante, qui permet de passer des putains d'Amsterdam à une inconnue ou à la femme de l'écrivain. Une puissance d'évocation qui rend compte de la complexité des rapports amoureux, sexuels, de la vision des hommes à propos des femmes, de cette quête inassouvie entre nous. L'un des plus beaux textes est sans nul doute pour moi, "De l'Intimité" véritable ode à l'amour pour sa femme, on voudrait se dire que l'on est aimé de cette façon, pour toujours. Justesse, finesse, lucidité, tendresse, sexuelle, tous ces textes ont cela en commun, et ce n'est pas si souvent. A lire absolument.
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La voute était inclinée, soutenue par le mur aveugle et noir du château. En dehors de cette zone maçonnée rectangulaire et sombre, le ciel débordait d'étoiles. C'était écrasant, il y avait plus de points de lumières que d'ombre entre eux, saupoudrés de manière diffuse, tassés dans un coin, plus espacés ailleurs, concentrés en taches de lumière ou dissous dans l'air glacé. Un froid terrible s'était abattu, et pourtant nous ne nous hâtions pas vers la porte d'entrée. Nous demeurions là, près de la voiture, à regarder ce ciel lumineux et magique, ce cosmos courbé sur la terre parfaitement sombre. Des glaçons et des icebergs de lumière glissaient là haut, ils se brisaient au dessus de nos têtes.
L'orgasme est au corps physique ce que le bonheur est à notre corps spirituel. C'est la sensation brève et accablante, l'illumination que recherchent les mystiques et les poètes. On ne peut être heureux pendant des jours ou des années entières. Pas même quelques heures de suite. Dostoïevski le décrit comme un prélude à l'épilepsie, Rilke parle de son "comble": c'est la beauté à la limite du supportable, au-delà de laquelle commence la douleur. Goethe a peut être eu la meilleure intuition des critères du bonheur: nous sommes réellement heureux lorsque nous voulons arrêter le temps, conserver l'instant pour toute l'éternité.
Dans les dix années qui suivirent, j'ai du sentir au moins sept ou huit fois, en divers endroits, le parfum qui me dispersait la cervelle. [...] Chaque fois, je me disais que j'allais courir après la fille au parfum aussi enivrant et monstrueux, la prendre par l'épaule, la retourner et lui demander: "D'où on ce connait?" ou "Comment s'appelle votre parfum ?" ou "Voulez vous m'épouser?", toutes questions qui me semblaient, dans mon exaltation, parfaitement équivalentes.
Je prie les lectrices distinguées de ce livre de ne pas me taxer de pédanterie, quand bien même je commencerais par une citation. Quand j’étais adolescent, j’avais la stupide habitude de les enchaîner, ce qui me valut, au lycée Cantemir, une réputation plutôt triste. Mes collègues s’amenaient à l’école avec des magnétos de dix kilos, passaient de la musique et dansaient en cours de français… Le petit jeune homme timbré qui nous tenait lieu de prof rassemblait les filles autour de lui et les mettait au courant de toutes les grossièretés en français… Deux types feuilletaient des revues pornos au fond de la classe… J’étais le seul, moi qui vivaient en compagnie des livres, à me prendre par la main et à balancer au tableau une citation de Camus, ou de T. S. Eliot, qui arrivait comme un cheveu sur la soupe dans l’atmosphère de débauche qui régnait dans notre classe poussiéreuse et délabrée. Assises sur le bureau du prof, jambes croisées si haut qu’on voyait leurs cuisses sous la chasuble retroussée, les filles ne se fatiguaient même pas à grimacer ou à pouffer de rire de manière méprisantes. Elles étaient habituées.
Je m'assis au bord du lit, terrorisé par l'idée d'une nuit de froid polaire. Mais alors je sentis un peu de tiédeur, une hallucination peut-être, s'élever de la literie. Je passai ma paume sur la couverture et je sursautai. En effet, elle était chaude ! Et en plus elle semblait relevée sur un corps massif, comme si quelqu'un dormait recroquevillé dans mon lit […] Car dans mon lit, enfoncé dans le drap, il y avait un mouton !
Nicolas Cavaillès lit Mircea Cărtărescu.