A la lisière du surréalisme magique…
A la lisière de la société des hommes, s'enfoncer dans les ronces, creuser un passage en faisant fi des griffures d'épines affutées, passer ainsi de la rive de la réalité la plus triste à celle du conte le plus sombre et du récit fantastique rédempteur. Tel est ce livre étonnant qui, en partant d'un fait divers glacial, celui de la disparition soudaine d'un enfant, nous entraine sur les terres des contes et des légendes. D'une plume poétique, mélancolique et onirique
Cécilia Castelli fait cohabiter ces mondes, la colline peuplée de fantômes comme lieu de jonction entre le réel et l'imaginaire.
« Il traverse les buissons. Les épines s'accrochent au tissu de sa veste puis le déchirent. Elles s'acharnent. Décidées à faire barrage. A ne pas rendre le chemin facile. Elles s'en prennent à lui, à sa chair qui se met à saigner. Il ne recule pas. Malgré l'épaisseur des broussailles, l'homme s'affranchit des ronces, progresse sans se soucier des éraflures. La douleur, ce sera pour une autre fois ».
A la lisière de l'intégration scolaire, le petit Romain Poittevin est un enfant quelque peu inadapté, un enfant qui appartient à cette catégorie d'élèves que l'on désigne du doigt. Surnommé moqueusement par ses camarades de classe, Crotte-de-nez, le petit garçon, lunaire et solitaire, aime en effet s'adonner sans vergogne à cette exploration nasale. Troisième de la fratrie, il préoccupe un peu ses parents, tant son côté rêveur et maladroit, côtoie des interrogations métaphysiques surprenant pour son âge. Un enfant que l'on qualifierait assez, sans doute trop, rapidement de différent. "Romain était tel un petit poisson qui nageait à contre-courant du monde."
Lors d'une sortie de classe sur les ruines du château de Crussol avec la maitresse Madame Dumont et le jeune instituteur qui prendra sa suite dans quelques mois, Romain disparait. Un de ses camarades de classe, Frédéric, l'avait incité à aller vagabonder un peu plus loin pour y trouver la maison de la sorcière. le petit, naïf, a fait confiance à son soi-disant copain pour ne plus jamais revenir. Qu'est-il donc arrivé à Romain ? Petit Poucet parti sans cailloux pourchassé par le géant aux bottes de sept lieues ? On pense plutôt immédiatement à la chute, Romain est un enfant si maladroit et lunaire…Pourtant les recherches ne donneront rien. « Depuis qu'il n'est plus rentré, Romain a pris dans la maison toute la place ».
A la lisière de la vie, tous les proches du drame resteront. La disparition, et le deuil impossible qu'elle engendre, va avoir des conséquences sur la famille. Les parents inconsolables vont finir par se séparer, le grand frère sera à jamais hanté par cette histoire et ne cessera de poursuivre les recherches, suivant sans relâche « des méandres qui ne le conduisaient nulle part, mille détours dans des géographies aléatoires », l'institutrice se sentira coupable jusqu'à sa mort et le copain Frédéric qui avait incité l'enfant à s'aventurer seul en plein nature aura lui aussi des casseroles dont il tentera , notamment en voyageant beaucoup, à oublier.
Cécilia Castelli nous laisse ainsi entrevoir avec émotion et pudeur les blessures à jamais soignées de cette disparition complètement énigmatique non résolue.
« Pour Michel Poittevin, la mémoire devait s'effacer. Il n'avait plus photographié personne. Il n'y avait plus eu de fête, plus d'anniversaire, rien…Les enfants avaient grandi mais depuis Crussol tout s'était arrêté. On n'avait plus pensé à apprécier les jours d'après parce que cela ne se faisait pas d'y penser encore. Plus de joie après Romain ».
A la lisière du roman policier, c'est plutôt un roman d'ambiance sombre aux temporalités multiples qui se focalise davantage sur les conséquences du drame et sur la force de l'imaginaire et des légendes pour tenter de comprendre, survivre, et se reconstruire, que sur les recherches de l'enfant en tant que telles. C'est un livre à mi-chemin entre le conte pour enfant et le conte fantastique. La nature, cette colline, est un personnage à part entière du récit, un beau lieu sauvage qui sait accueillir tout le monde, quelles que soient ses différences, quelle que soit sa marginalité. L'écriture de cette jeune auteure est étonnamment douce, poétique alors qu'elle narre une histoire terrible et révoltante, comme si cette plume réussissait à envelopper de tendresse ce deuil impossible. Une pincée de réalisme magique permettant d'adoucir le récit, de mettre une certaine distance à l'horreur, distance salvatrice lorsque la fin s'avèrera bouleversante.
A la lisière, « ceux que le monde refuse, ici les ténèbres les accueillent avec joie ».
Merci à @Fleursdelivres pour cette belle découverte !