°°° Rentrée littéraire 2022 # 19 °°°
Difficile de quitter le regard de la fillette qui vous fixe depuis la couverture du roman, yeux intenses à l'intelligence grave. Comme si elle attendait quelque chose de vous sans trop savoir quoi mais avec une détermination qui saisit et interpelle. Cette fillette photographiée en noir et blanc, c'est l'auteure,
Françoise Colley qui a puisé dans sa vie pour nous offrir son premier roman porté par la voix d'une narratrice qui lui ressemble sans doute beaucoup.
Lorsque s'ouvre le récit, la narratrice, la quarantaine, va quitter son mari, pleine de culpabilité car ce n'est pas la première fois qu'elle se sépare du père d'un de ses enfants. Et c'est vers sa mère qu'elle se tourne, sa mère décédée : « maman, fais-moi signe ». A partir de là, les chapitres alternent passé / présent, enfance et adolescence / âge adulte.
Les passages les plus forts, les plus frappants par la fulgurance de certaines scènes, sont ceux consacrés à l'enfance et l'adolescence autour d'un personnage maternel absolument magnifique. Une mère rocher, vénérée, dix enfants de deux pères différents, « le Juif » et « l'Arabe », le corps déformé par ses grossesses multiples, le coeur cabossé par une vie de misère dans des HLM et des hommes de sa vie toujours défaillants, des mauvais choix à répétition. Cela pourrait être du
Zola, et pourtant, jamais le texte ne sombre dans du pathos au misérabilisme larmoyant car cette mère est transcendée par l'amour qu'elle porte à ses enfants, par la foi qu'elle a en eux et par l'adoration en retour qu'elle reçoit.
Evidemment, ce passé traumatisant et destructurant de la narratrice permet d'éclairer son présent sans pour autant que l'auteure surexplique sa psychologie. Et c'est tant mieux. le lecteur a ainsi toute sa place pour évoluer dans les faits de vie d'une jeune fille en colère qui hait son père, ouvrier immigré algérien, un père violent, tyrannique, abandonnant dont elle souhaite régulièrement la mort, d'une jeune fille trouvant refuge dans la fratrie et le clan formé autour de sa mère, mais également dans une relation amoureuse stable et précoce.
Vivantes est le récit d'une femme qui, propulsée par l'amour de sa mère, s'assume, assume ses erreurs, ses errances, ses failles, sa sexualité, qui a choisi d'être fière qui a un désir de vivre chevillé au corps, quoi qu'il lui en coûte. D'une femme en quête d'elle-même pour reconnecter toutes les parts de son identité, elle qui se définit comme un « organisme vivant non identifié. Un claquage disruptif entre la Petite Kabylie et la Champagne pouilleuse. » Une femme prête à accepter son héritage, notamment celui de ce père détesté, et qui parvient à se projeter dans une vie qu'elle souhaite légère, douce, hédoniste et libre, loin de la colère qui l'a longtemps animée.
Le récit d'une femme en quête d'un nouvel élan, se tournant vers son passé pour avancer, est en lui-même assez classique et attendu. Mais ce qui le fait échapper à la sensation de déjà-lu, c'est d'abord l'énergie de l'écriture et la force qui se dégage de mots tracés au scalpel. L'ardeur de vivre et la lucidité à la crudité cash avec laquelle cette femme se raconte emporte définitivement le lecteur.