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Critique de AMR_La_Pirate


Je reconnais avoir un peu de mal avec le langage particulier et l'écriture de Céline… Celles et ceux d'entre vous qui me connaissent ou qui me suivent un peu savent que j'ai mis plus de six mois à lire Voyage au bout de la nuit
Quand, en fouillant dans le rayon BD de la bibliothèque où j'ai mes habitudes, j'ai eu l'occasion de feuilleter ce roman graphique de Tardi qui illustre Casse-pipe suivi du carnet du cuirassier Destouches, j'ai immédiatement trouvé que ses dessins monochromes correspondaient tout à fait à l'univers et au style de cet auteur ; naturellement, j'ai emprunté l'album pour me faire une meilleure idée de cette collaboration posthume.

Louis-Ferdinand Destouches était engagé volontaire dès 1912 dans un régiment de cavalerie ; il a été gravement blessé sur une action héroïque en 1915. Quand il parle de la guerre, c'est en parfaite connaissance de ses réalités. Casse-pipe est un roman inachevé, autobiographique, qui raconte son arrivée au régiment par une nuit froide et pluvieuse, dans une belle pagaille organisée au cours de laquelle les gradés ont oublié les mots de passe, les chevaux s'échappent des écuries, et les soldats subissent brimades et humiliations en cascade. Un extrait des Entretiens familiers nous apprend que Céline voulait raconter l'histoire d'un échelon régimentaire d'une centaine d'homme qui, au cours de la première année de la guerre, perd ses liaisons et se retrouve livré à lui-même sous les ordres d'un adjudant ; les soldats, privés de tout et désorientés, ne tardent pas à commettre des exactions couvertes par l'adjudant ; s'apercevant enfin de sa responsabilité, ce dernier, pour éviter le déshonneur, entraîne ses hommes vers l'endroit le plus dangereux des combats…

La quatrième de couverture de l'album de Tardi évoque une rencontre entre le tragique et le comique et c'est vrai que l'ensemble est assez pitoyable. Dans Casse-Pipe, personnellement, encore une fois, je bute sur la langue particulière de Céline où l'oralité et l'argot débordent ; je suis noyée sous les insultes d'un langage militaire braillé par des sous-officiers incapables et veules qui masquent leur lâcheté et leur inexpérience derrière des ordres et des contrordres. Pour moi, c'est une logorrhée exclamative qui dessert le propos car Céline dépeint avec réalisme une armée peu soudée où l'indifférence et le chacun pour soi régissent les rapports entre les soldats et les gradés et même entre les soldats entre eux.
J'avoue avoir sauté des paragraphes dans la première partie de l'album, reprenant parfois brièvement ma lecture quand les superbes illustrations de Tardi m'y ramenaient pour préciser un détail du dessin, les causes d'une expression ou d'une attitude.
À la fin de l'album, Henri Godard, grand spécialiste de l'oeuvre de Céline, reconnaît que le texte de Casse-Pipe est « trop tissé à chaque ligne » de mots argotiques du vocabulaire de l'armée et de la cavalerie et que cela risque fort de saturer les lecteurs ; il propose donc quelques pages explicatives bienvenues.

Le chapitre intitulé « Mon ami Bardamu » se déroule à la fois pendant l'offensive et avant la guerre dans les souvenirs du narrateur qui raconte son entrainement et sa vie de garnison ; encore une fois « la gradaille » est à l'honneur et « la bleusaille » en prend pour son grade, pour paraphraser le style… Mais l'écriture de Céline est un peu différente, plus narrative, tandis que les desseins de Tardi occupent moins d'espace. Des fragments de la suite du récit apportent quelques détails supplémentaires sur la vie quotidienne dans les casernes, les temps d'engagement, la parade du 14 juillet, les escortes officielles, les promotions de grades…
L'ensemble est assez décousu ; le lecteur a une vague idée du chantier du livre en cours et de l'oeuvre en devenir. J'y trouve un intérêt documentaire, mais sans plus.

J'ai préféré le Carnet du Cuirassier Destouches, suites de notes plus personnelles de Louis Ferdinand Céline. Les cuirassiers faisaient donc partie de la cavalerie lourde et l'auteur avoue « une peur innée du cheval » et nous livre son désespoir ; il a dix-sept ans à peine et regrette ses « fanfaronnades » juvéniles. Il y a une réelle sincérité dans ces courts extraits illustrés seulement par un seul dessin représentant sans doute la reprise des élèves brigadiers.
En 1939, Céline a raconté son baptême du feu de 1914. Il était alors maréchal des logis au 2ème de Cuirassier… Dans ce dernier récit, il nous met au coeur de la charge au grand galop et nous livre ses réflexions dans un langage plus recherché parfois, ce qui ne gâte rien, bien au contraire.

Cette lecture a été plus que laborieuse ; je l'ai poursuivie dans un but d'étude et de documentation. Je suis toujours très sensible à l'art et la manière de dessiner les chevaux, car ce n'est pas chose facile. Si je dois retenir quelque chose de cet album, ce sera les chevaux représentés par Tardi, leurs yeux exorbités, leurs regards hallucinés, leurs naseaux dilatés, leur frayeur… « C'est le bourrin qui fait du cavalier le héros. […] Un gars démonté, ça ne compte plus ! »

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