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Critique de Fabinou7


CDXLVIIMXIX
Qui traite de mes impressions de lecture sur les aventures d'un Chevalier Errant

Les Moulins de Don Quichotte (à pas confondre avec ceux de Michel Legrand). Voilà l'image d'épinal pour l'imaginaire collectif, notamment des espagnols pour qui le Quichotte est un livre incontournable du parcours scolaire. La France a connu les farces de Rabelais, avec Cervantès, l'autre versant des Pyrénées n'a rien à nous envier.

Avec Don Quichotte et Sancho Panza, Cervantès invente, avec génie, le duo comique. Ce duo nous parait aujourd'hui familier et répandu, le cinéma s'en est largement emparé. L'humour débridé, les nombreux gags potaches, qui ont besoin de la personnalité de l'un comme de l'autre pour fonctionner semblent nous indiquer une permanence dans le comique. En effet, quatre siècles plus tard nous rions encore des quiproquos, de la bêtise et de la folie et les sketches « bigardiens » n'ont rien à envier à la scène déconcertante de la colique de Sancho Panza que l'on pourrait écrire à l'identique aujourd'hui !

Avoir un léger « background » en littérature chevaleresque n'est pas un prérequis mais peut être un atout utile, qui m'as sans doute manqué, car la dérision de Cervantès n'est pas hors sol (codes, errance, pénitence, langage etc) mais, en plus d'être très érudite, elle aime à détourner nombre d'oeuvres connues des afficionados de cette littérature, condamnée par l'Eglise, mais adorée par les puissants eux-mêmes comme Charles Quint ou François Ier.

Cervantès aime à nous faire croire que cette oeuvre monumentale a été rapportée par un historien maure et ce n'est peut-être pas tout à fait un hasard, certaines exégèses de son oeuvre y voient une forte influence arabe.

Mise en abime. C'est aussi un roman à « épisodes » à l'image de l'Heptaméron de Marguerite de Navarre, où nous laissons à plusieurs reprises l'intrigue principale de l'Hidalgo de la Mancha pour nous plonger dans des contes ou longs souvenirs narrés par les personnages eux-mêmes. Cela peut parfois être exaspérant pour le lecteur qui a l'impression de lire plusieurs livres en un mais cela participe de l'intérêt du livre.

« La bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n'est pas éclairée ». Don Quichotte me semble être l'incarnation de cette phrase d'Albert Camus. En effet alors même que Don Quichotte s'engage sur un code d'honneur moral sans faille, dans la réalité (qu'il perçoit si peu) il fait exactement l'inverse. Qu'il libère des prisonniers justement condamnés ou qu'il pense faire le bien en libérant un serviteur qui sera, dès son départ, roué doublement de coups, chaque fois qu'il entreprend de venir en aide à son prochain, l'enfer étant pavé de bonnes intentions, cela se termine mal, sans mentionner les nombreuses fois où, aveuglé par le folklore de son imaginaire chevaleresque, il s'attaque gratuitement à de simples voyageurs ou passants sans aucune raison. C'est le paradoxe de Don Quichotte qui nous pousse à réfléchir sur la notion d'intention et sur celle de conséquence.
A l'heure du bilan, suffit-il de vouloir faire le bien ou n'importent que les conséquences positives y compris d'une action que l'on voulait nuisible au départ ?

Ensuite, comme l'explique dans sa contre-histoire de la littérature Michel Onfray, pour Don Quichotte, le réel n'a pas eu lieu. Cela est immanquablement illustré par ses dialogues avec Sancho Panza qui s'évertue à le confronter au réel (alors même que le curé et le barbier savent que pour venir à bout de l'entêtement de l'Hidalgo, il faut entrer sur son terrain, dans son jeu).
A chaque fois qu'il est rattrapé par l'évidence, Don Quichotte met toute sa volonté, toute sa foi, et toute son intelligence à la fuir, à la contester, Onfray parle de « dénégation ». Il fait le lien avec notamment la politique, hypertrophie de la dénégation. On se crée un monde illusoire et cohérent et surtout lorsque la réalité nous rattrape, lorsque l'on est pris la main dans le pot de confiture, toute la rhétorique est mobilisée pour nous dire que ce n'était pas notre main, et que ce ne n'était pas non plus un pot de confiture.

L'imaginaire n'est excusable et admis que chez les enfants et les vieillards n'est-ce pas ? Qui imagine un homme, dans la force de l'âge, intégré dans la société, commencer à jouer la comédie, à inventer sa vie. Qui peut devenir chevalier sans passer son “diplôme”, sans être coopté par ses pairs, dans son milieu ? Il n'y a que deux formes d'inventions permises dans la société, la catharsis du théâtre ou du cinéma, confiné à un espace limité, et l'hypocrisie sociale, la « communication ». Autrement, la société a prévu des infrastructures psychiatriques où isoler les fous.

Mais Don Quichotte, avec ses chimères et son panache, n'a cure de ces conventions sociales, il s'autorise l'imaginaire, il va vivre plusieurs vies en une. Est-ce pour fuir l'ennui de n'être que soi ? Valéry écrivait « mon possible ne m'abandonne jamais », l'Hidalgo n'est il pas simplement à la recherche de son « possible » ? N'a-t-il pas décidé qu'il vivrait son « possible » dès à présent, sans se confronter aux obstacles qu'une carrière de chevalier lui infligerait dans la vraie vie ?

Lassé des pastiches et des usurpateurs avides de faire du commerce sur le dos de l'Hidalgo, Miguel de Cervantès reprendra la plume, près de quinze ans plus tard, pour faire revivre son Don Quichotte dans un second tome.

“Toi chevalier, avec ta droite épée
Dans les bois rigides, tu poursuivras
Ton pas, le temps que dureront les hommes,
Imperturbable, illusoire, éternel”
Jorge Luis Borgès.

LXVCIXIVI
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