Mon problème, à moi, c'est que dans mon enfance, vers dix ans, je vous le disais tout à l'heure, j'ai lu des livres qui n'étaient pas de mon âge. En effet, le hasard de la vie a fait que j'ai eu à disposition pendant quelques mois, une bibliothèque fantastique qui venait de mes ancêtres et qu'on a été obligé de vendre à la salle des ventes de Nantes. Et j'ai donc vu disparaître devant moi, à dix ou onze ans, tous les livres que je devais recevoir en héritage. Peut-être que j'ai écrit pour recomposer, je l'ai souvent dit, cette bibliothèque. (p.11)
On va rentrer dans l'intelligible du roman, mais l'inintelligible du roman est plus important que l'intelligible du roman. C'est l'inintelligible qui reste à la porte qui explique l'intérieur. (p. 21)
-lire ce qu'il y a entre les choses, et dans les grands livres en définitive, ce qui est beau ce ne sont pas seulement les mots, c'est ce qu'il y a entre les mots.
Je dirai qu'un grand livre, c'est quelque chose où il y a beaucoup de choses entre les mots. Beaucoup de non-dit entre ses dits, et peut-être que tous ses dits sont écrits pour frapper, comme deux armures, le choc du non-dit entre les mots. Et peut-être que les grands livres ont entre eux d'autres livres qui se profilent entre les mots qui les composent.(p. 8)
La littérature c'est la vie intérieure des choses et des êtres, et cette vie a des origines, un mystère à syllaber, à faire pressentir, d'où l'importance pour moi de la généalogie. La généalogie c'est la traînée d'ancêtres qui vous a produit. Eh bien il y a aussi une traînée des choses qui produisent les choses. Et quand on rencontre un personnage dans un roman, si l'on ne sent pas derrière lui cette traînée d'ancêtres, il a moins d'épaisseur. Si vous arrivez à faire percevoir au lecteur inconsciemment la traînée d'ancêtres qui ont produit le personnage qu'il découvre sur la page, à ce moment-là, vous avez gagné. (p. 22)
Lire. Dans le fond je n'ai fait que cela, j'ai dû d'ailleurs lire avant de savoir lire et c'est peut-être cela le problème. En définitive, mon problème a été que j'ai toujours lu des livres qui ne sont pas de mon âge. Même encore, je lis toujours des livres qui ne sont pas de mon âge, c'est-à-dire que je lis des livres pour enfant. C'est peut-être parce que je vais y retomber, mais en définitive, jamais je ne lis les livres qui correspondent à mon âge, s'il y a des livres qui correspondent à un âge quelconque. (p. 7)