Extrait (première page)
J'aimerais parler d'un livre, l'Astrée, très lu sous Louis XIII, je souhaiterais qu'il fût pays, pays avec villages et collines, hameaux et fermes isolées, pays que les pas peuvent atteindre et les troupeaux investir, mais les prés restent à leur place entre Roanne et Saint-Etienne et la lecture n'est pas la marche, à première vue.
Tourner la difficulté au lieu du bosquet (passez-moi le mot vous aurez les branches vives), en rire comme d'une idée de sommeil (allongée en ellipse du sud au nord, la plaine du Forez, lieu-dit de l'Astrée, est d'ailleurs un lit, bientôt le vôtre, le lit d'un lac dissipé depuis le tertiaire, le prouvent, outre l'analyse des sols (oligocène recouvert d'alluvions), la tournure flottée des Foréziens, leur indolence qui garde en mémoire le fil de l'onde), si cela se nomme sommeil cette permanente impression en lisant d'ouïr des paysages : l'arbre glissant dans l'arbre, la rivière dans ses eaux (le Lignon se jetant en Loire à Feurs, 6 692 habitants, y perdant son nom propre, écrit Honoré d'Urfé, l'auteur de l'Astrée), croire à un leurre montant de la troupe des syllabes (l'Astrée a ses mirages, son espace moutonnant, poissonnant où des ombres au fin fond du discours échangent des paroles aussi chimiques que l'eau des sources), arguer d'une illusion d'oreille ou d'oeil (il faudrait des sens intermédiaires, ni le toucher ni l'odorat, ni les autres, un mélange) ne m'empêchera pas de poursuivre la chimère d'un livre engagé dans le relief (le volcanisme du Forez s'expliquerait-il ainsi ?) dont j'entends le murmure végéral, les chaumes, quand la phrase s'éternise en phrases - les longueurs tant décriées de l'Astrée, ses engourdissements d'argile et de sable -, de sorte que plus personne ne sait de quoi il est question, à part l'écho, signe d'une terre proche (sous quels mots les mottes ?), qui interroge encore, subtil arpenteur.
5 # Michel Chaillou
Grand prix 2007 de littérature de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre, Michel Chaillou poursuit inlassablement sa quête du temps, dans une recherche qui n'a rien de nostalgique. Outre ses livres autobiographiques qui mettent en scène son double littéraire Samuel Canoby ("Le dernier des Romains", Fayard 2009), son œuvre de plus de vingt-cinq livres propose des échappées purement imaginaires, la fantaisie, voire le fantastique ou un savant mélange ("Virginité", Fayard 2007). Interrogé par un romancier plus jeune, Jean Védrines, Michel Chaillou s'est efforcé de penser tout haut ce qu'est pour lui la littérature dans "L'Écoute intérieure", neuf entretiens sur la littérature (Fayard 2007).
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