Citations sur Cérémonie (11)
(...) une femme avec un sein dépareillé, mais où est passé l'autre, Aïcha incrédule effleure la chair sans conséquence du côté gauche, un seul sein, c'est bien suffisant pour une femme solitaire, que ferait-elle du deuxième ? Le destin de Aïcha, l'aimée, la convoitée, entre ses parents restée comme une femme impossible. Et la voilà séparée des autres à jamais, plus de bain pour Aïcha, elle l'a décidé, orgueilleuse, retranchée dans son sein droit comme dans une citadelle. (p. 90)
(...) mais la vie continue pour tout le monde, tu entends, la vie continue, la vraie, avec des amours et des voyages, des plaisirs et des chagrins bien tempérés, qui a réussi à te faire croire qu'on peut vivre damné de souffrance, et tu expies comme une idiote les crimes que tu n'as pas commis, le crime des pères, partis chercher d'autres plaisirs loin de l'ombre odorante où ils nous ont enfermées comme dans une geôle. (p. 105)
Le coeur d'une mère se gonfle d'orgueil lorsqu'elle voit ses fils devenir des hommes qui font frémir les filles et trembler les pères. Mais le coeur d'une mère qui voit sa fille embellir chaque jour, son corps plus souple, sa taille plus fine, ses seins plus gonflés, une langueur au fond des prunelles, de combien d'appréhension ne lui faut-il pas s'émouvoir ? La voilà devenue une proie pour tous ces chasseurs à l'affût, mais les chasseurs, ce sont mes fils, et je n'ai pas eu à trembler pour eux. (p. 68-69)
(...) je construis des maisons où les gens vivent, mais ma maison s'écroule et je ne peux rien faire pour la retenir, debout, les murs, mais les murs s'effondrent autour de moi (...) (p. 73)
Si on savait d'avance, les fêtes seraient peuplées des défaites à venir, c'est pour ça qu'on ne sait pas. Nous serions sans courage devant ce qu'il nous faut affronter le lendemain, quand la fête est finie , et le jour se lève. (p. 108)
Des ogresses, pense-t-elle, ce sont des ogresses, toutes ces femmes qui nous souhaitent le meilleur en constatant avec soulagement que notre savoir ne nous permet pas de nous affranchir de tout, que leur monde est efficace, ce monde où le pire est toujours conjuré à l'ombre des incantations. (p. 32)
Et d'ailleurs, orgueilleux ou pas, c'est le regard des autres qui nous rend conscients de la valeur de ce que nous possédons, et dont souvent nous ne nous apercevons même pas, poursuit Lalla Rita, sentencieuse. (p. 31)
Malika dit que le corps est comme une maison, il faut l'habiter pour qu'il devienne habitable. (p. 15)
Malika dit encore d'une voie adoucie jusqu'au chuchotement: la fragilité d'un décor, comment peux-tu vivre dans un décor, comment peux-tu habiter un décor ? Tu construis des maisons, et c'est toi qui me l'as dit, les habitants y sont comme des âmes en peine, des maisons énormes comme des forteresses, il n'y a plus de place pour les jardins, rien que des carcasses enflées jusqu'à l'explosion, qui disent la puissance usurpée de leurs propriétaires. Alors quoi ? Est-ce nous, qui ne savons plus habiter nos maisons, ou sommes-nous tellement dépossédés de nous mêmes que nos maisons nous rejettent comme nous nous sommes rejetés nous-mêmes ? (p. 13)
"Aujourd'hui, l'avidité ronge les coeurs comme les détergents creusent le sol de fissures imperceptibles à l'oeil nu, mais un jour, alors que tu chemines avec une impavide sérénité, le sol familier s'effondre et tu découvres le vide."