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Citations sur La Chambre (24)

Tuer était bon (...). Tous les lieux, tous les outils faisaient l'affaire ; quant aux prétextes, on n'en manquait jamais : race, religion, parti, nation, pour être "l'ennemi" il suffisait que l'autre fût autre. (...) Mais leurs enfants, qu'est-ce qu'ils comprenaient, les enfants ? Des enfants qui ignoraient jusqu'à leur nom, et ne distinguaient pas leur corps du corps qui les avait portés, et ne séparaient pas encore le dedans du dehors (...) Ainsi périrait un jour la chambre fermée. Lentement, très lentement, elle disparaitrait au fond des yeux d'un enfant. Lentement, avec l'enfant étouffée, la chambre asphyxiée.
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Pour jouer avec les fourmis, pendant quelques jours, l'enfant est sorti de sa léthargie. Il multipliait les expériences : soufflant sur une solitaire pour lui faire passer la frontière en aérostat, la porter, à travers les airs, d'un carreau à l'autre ; ou disposant de menus obstacles sur le parcours d'un bataillon pour l'obliger à emprunter des chicanes ou contourner des redoutes ; écrasant même une innocente à seule fin d'admirer son cortège funèbre : il est le dieu des fourmis.
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Néanmoins, il a remarqué la fourmi. C'était un jour où, par extraordinaire, il mangeait sur son bureau ministre : on lui avait apporté une jatte de crème anglaise et un compotier de blanc-manger, il avait besoin d'une surface plane et de sa cuillère d'étain pour y goûter. Sur le maroquin vert, il a vu courir une fourmi. Il n'a pas peur des fourmis noires. Elle est redescendue par le pied de la table, où circulaient déjà ses congénères, et s'est dirigée vers la tourelle aux pigeons. Accroupi pour mieux la suivre des yeux, l'enfant a vu passer, sous la porte, de minces colonnes qui processionnaient sur les dalles de pierre et dans les rainures du bois ; jusque sur le bureau, où, courant parmi les restes, elles escaladaient des trognons pourris et se chargeaient de fragments de croissants : la fourmilière et ses oeufs devaient être dans la tourelle, hors de vue, hors de portée, mais la chambre était leur garde-manger.
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... dès que le panier des cuisines a été posé près de la porte basse par le père Gourlet (les commissaires, qui font du zèle, viennent d'interdire aux garçons-servants de monter), l'enfant - qui ne se donne plus la peine de sortir son couvert du panier, ni de l'installer sur son bureau - attrape le pain, le fromage, et quelques morceaux de viande qu'il emporte avec les doigts pour les manger dans "sa caverne" à l'abri....
... après, il repousse avec soin les miettes et les débris jusque dans la ruelle du lit, prend dans ses bras son oreiller familier et se recouche autour, ramassé en chien de fusil. Il dort, dort encore, et redort. A midi comme à minuit. Est-ce qu'aujourd'hui est hier ?
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Finalement, ce qu'il préfère, c'est le tabouret de paille près du poêle (il y reste assis des heures entières à écouter les flammes ronfler), et son grand, son immense lit. Le reste, commode, secrétaire, fauteuils, il ne s'en sert plus, ne s'en soucie plus : il vit, lui, "l'explorateur", entre un tabouret et un lit. Lit-capharnaüm, poubelle et bateau, terrier, bauge, cher-grand-fond : au milieu, dans le creux de la couette, avec les draps sales, les couvertures plissées et le gros édredon, il s'est fait un tout petit nid. Quelle que soit l'heure, il y retourne, s'y couche en rond. Il lui arrive même, de plus en plus souvent, d'y apporter ses provisions, comme un animal...
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Tuer était bon, les hommes s'aperçurent que c'était bon - agréable, facile : il n'y fallait que du sentiment... Tous les lieux, tous les outils faisaient l'affaire ; quant aux prétextes, on n'en manquait jamais : race, religion, parti, nation, pour être "l'ennemi" il suffisait que l'autre fût autre. Les hommes savaient pourquoi ils tuaient ; ils comprenaient aussi, même quand ils le regrettaient, pourquoi ils mouraient : chacun était l'autre d'un autre.

Mais leurs enfants, qu'est-ce qu'ils comprenaient, les enfants ? Des enfants qui ignoraient jusqu'à leur nom, et ne distinguaient pas leur corps du corps qui les avait portés, et ne séparaient pas encore le dedans du dehors, et ne démêlaient pas l'amour de soi et l'amour du prochain, et se fondaient dans l'univers comme un sucre fond dans l'eau, les enfants ne comprenaient rien. Ils ouvraient des yeux étonnés. De grands yeux d'ombre. Fixaient le ciel, ou les murs. Fuyaient dans le ciel, rentraient dans le mur. Et c'était le ciel qu'on fusillait, le mur qu'on étranglait.
Ainsi périrait un jour la chambre fermée. Lentement, très lentement, elle disparaîtrait au fond des d'un enfant. Lentement, avec l'enfant étouffé, la chambre asphyxiée.
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Les étoiles sont les seules fleurs qui lui restent. Des fleurs coupées. Sans queue ni feuilles. Des têtes de fleurs. On ne peut pas garder des fleurs sans tige : plus d’eau, plus de sève, plus de sang. Des têtes sans tige, on ne peut pas les sauver.
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Des noms pourtant, il n’en manquait pas ! Il lui semblait en avoir trop porté – trois ou quatre selon les époques, les lieux, les personnes qu’il rencontrait… Même les « petits noms » (que, dan » sa famille, on appelait des « noms de baptême » ou des « saints patrons »), même ces petits noms, il s’en connaissait au moins cinq : Charles ; Louis ; Normandie ; Chou ; et Aglaé, un nom de fille celui-là ! Une idée de Tourzel, sa gouvernante !
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Honte ? Sûrement pas. Il savait qu’il avait raison d’avoir peur. C’est pourquoi, maintenant qu’il grandissait, il sentait ses peurs grandir avec lui. Elles pullulaient, grouillaient dans son ventre, elles le dévoraient, le débordaient. Il allait souvent aux cabinets, pour se vider. Mais les peurs continuaient à lui manger les entrailles : peur du noir dans sa chambre et des cris au loin, dans la rue, peur des cauchemars qu’il connaissait déjà et des visages qu’il ne connaissait pas ; peur des hommes et des enfants, ces « charmants zenfants » qu’il voyait autrefois juchés sur les épaules de leurs pères, perchés sur le rebord des fenêtres, le socle des statues, les branches des arbres ; peur des loups aussi, des dragons, des rhinocéros, des rats, des chiens, et des lapins, même des lapins.
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L’économe ne précisait pas que lui aussi était partant. À brève échéance. Voilà pourquoi il s’énervait, pourquoi, dans le jaune ambiant, son teint virait à l’orange… Démissionnaire avant d’être démissionné. Pour la même raison que « les vieux du deuxième » : la jalousie. La place des permanents, les bénévoles la trouvaient trop bonne : un train de chanoine – pâtés de lièvre, lits douillets, et une paye à plusieurs zéros. Au point que le mois dernier, avant même la réduction de budget, les chefs de l’Organisation avaient invité chacun à choisir entre siéger au Conseil et travailler dans les services : plus de cumul. Faisant de bonne grâce ce que les autres auraient fini par leur imposer, les politiques de la maison avaient d’un même élan, sans exception, renoncé à leur emploi, et applaudi la mesure par-dessus le marché ! Mais l’économe pouvait bien applaudir plus fort que tout le monde, il entendait ses rivaux rire sous cape, « retour à tes semences, père Coru ! Grain-grain-grain ! », ah, les charognes, il leur revaudrait ce tour-là !
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