Citations sur D'un pas suspendu (15)
LES MOTS, LEUR REVERDIE
Cendre qui, voletant, de s'agiter, s'ébattre (essor, élans mul-
tiples), loin de se disperser, se recompose oiseaux.
Par à-coups, à se frôler, s'éviter entre les arbres (fougueuse
refeuillaison), épris, imprudents, coiffés de braise.
Les mots, leur reverdie, qu'à nouveau, au fond de la gorge,
ils viennent consteller la voix.
p.11
D'UN PAS D'OMBRE
D’un pas qui ne comble aucun vide, un pas d’ombre qui ne
dérange rien, ne défait pas la blancheur de la nuit, ne donne pas
quittance du chemin parcouru.
Marcher, non : glisser muettement.
Tout à élargir son champ de reconnaissance (par pans, un
redéchiffrement presque à la dérobée), le regard ne heurte plus
de confins. Perdues sont les montagnes au loin dans la pâleur.
p.14
BANNIÈRES DU COUCHANT
Déployées, roses à la limite du soir. Ultimes. Jusqu'à ces
escarpements, aller.
Par la fenêtre ouverte (tout l'été, d'une bouffée) parvient une
odeur d'herbe fraîchement coupée. Qu'importe l'exiguïté de la
pelouse ; qu'importent rues, carrefours, ville.
Trop tard (lâche renoncement), trop tard pour rallier les ban-
nières du couchant. Sans ordre, solitairement s'effectuera la tra-
versée de la nuit.
p.40
SPLENDEUR ÉTOUFFÉE
À l'image du jaillissement de lumière (appui sur un rayon
de lune) venu délivrer ma table de travail de son poids d'ombre ;
comme si, en mon absence – car autre que moi a pris faction –
s'écrivait sur une feuille préparée hier au soir, quoique illisible
(nocturne épanchement), le poème à venir.
Tracé lui-même à l'encre sympathique, le paysage, de la fe-
nêtre, vibre d'une splendeur étouffée.
p.10
INSOMNIE
Montée des jardins en terrasses, l'ombre par effluves entre
dans la chambre, dans les vides qu'elle ne comble pas
s'installe.
Cette heure-ci, oui, aux dimensions du temps, érodé.
Sans heurts, sans craquements, le mobilier de la nuit est
remis en place.
p.41
LE COURS DES CHOSES
Tranché net est le champ labouré, ombre et soleil, quand
même la ligne de démarcation s'enfonce dans le sol, tel un soc
de charrue.
Ou, dans l'eau, un câble qu'on relâche.
Plus loin, en bordure d'une autre prairie comme si le pouvoir
était de remonter le cours de la matinée, le regard lisse la soie
encore intacte de la nuit.
De ce côté-là le froid, le révolu.
p.31
TERRASSES LIQUIDES
D'une vague à l'autre, comme se graviraient les marches
usées d'un large escalier, de proche en proche jusqu'aux
terrasses liquides de l'horizon, d'une lèvre d'écume à l'autre
que traverse en se jouant une mouette (ici, là, et là, et là), blanc
sur blanc, d'un mouvement ininterrompu, le regard s'ouvre,
corolle du jour.
Ampleur, non houle ; fougue que sa cadence excite et apaise.
Lumineusement, balance égale est maintenue.
En marche vers nous de si loin (cette esplanade, ce vide) la
même phrase, sans cesse reprise, sans cesse se brisera-t-elle ?
p.29
MON PAS, MON SOUFFLE
L'eau, la respiration de l'eau.
Son glissement (mon pas, quand les mots manquent) ; son
bruit, heurt ou caresse contre la coque des barques à l'amarre
(se creuse, tourbillonnant, se répercute, amorce répétée d'un
chant) ; ses éclats, poudre éparse parmi les gerbes de
l'automne.
La claire respiration de l'eau.
p.28
LE CLOÎTRE DE MIDI
Allées et venues (l'été) à pas comptés (l'été dans sa durée)
dans un sens, dans l'autre, entre des parements de feuillage.
Azur encore est le vent dans l'herbe, joueur.
Les pensées, les mêmes pensées revenues, une nouvelle
génération de pensées qui volettent dans les arbres, le passage
d'un lourd convoi forestier ne suffit pas à les déranger.
p.25
À FOISON
Du coteau or, pourpre, flamboyant (frémit), d'un coup se
déployant, brocarts, miroirs, papiers multicolores s'envolent,
volent en éclat.
Papillons par nuées, paillettes, papillottes ; bibelots,
babioles, brimborions.
(À foison, frémit.)
p.24