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Citations sur Le chant des pistes (22)

Au commencement la Terre était une plaine sans fin, obscure, séparée du ciel et de la mer grise, étouffant dans une pénombre crépusculaire. Il n’y avait ni soleil ni lune ni étoiles. Cependant, bien loin, vivaient les habitants du ciel, êtres jeunes et indifférents, humains de forme, mais possédant des pattes d’émeu et une chevelure dorée étincelante comme une toile d’araignée dans le soleil couchant, sans âge et insensibles aux atteintes des ans, existant depuis toujours dans leur vert paradis bien arrosé, au-delà des nuages de l’ouest.
A la surface de la Terre, il n’y avait que des trous qui deviendraient un jour des points d’eau. Aucun animal, aucune plante, mais autour de ces sources étaient rassemblés des amas de matière pulpeuse, des restes de la soupe primordiale – silencieux, sans souffle, ni éveillés ni endormis – contenant chacun l’essence de la vie ou la possibilité de devenir humain.
Sous la croûte terrestre, cependant, les constellations luisaient, le soleil brillait, la lune croissait et décroissait et toutes les formes de vie gisaient endormies – la fleur écarlate du pois du désert, le chatoiement de l’aile du papillon, les moustaches blanches et frémissantes du Vieil Homme Kangourou – tous en sommeil comme les graines du désert qui doivent attendre l’averse vagabonde.
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Dans un exemplaire de Tristram Shandy de Sterne en livre de poche acheté chez un bouquiniste d’Alice Springs, j’ai trouvé cette note griffonnée sur la page de garde : « Un des rares moments de bonheur qu’un homme connaît en Australie est le moment où il rencontre les yeux d’un autre homme devant deux verres de bière.
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Je sortis de mes bagages quelques blocs de papier et, avec cette méticulosité obsessionnelle qui accompagne tout début de projet, je répartis mes carnets "parisiens" en trois tas bien nets.
Il s'agit de carnets connus en France sous le nom de carnets moleskine, car ils sont recouverts de cette toile de coton noire enduite imitant le cuir. A chacun de mes passages à Paris, j'en achetais une nouvelle provision dans une papeterie de la rue de l'Ancienne-Comédie. Les pages étaient quadrillées et maintenues en place à leur extrémité par un ruban élastique. Je les avais tous numérotés. J'écrivais mes nom et adresse sur la première page et offrais une récompense en cas de perte à qui me le renverrait. Perdre un passeport n'était qu'un ennui mineur ; perdre un carnet était une catastrophe.
Au cours d'une vingtaine d'années de voyage, je n'en ai perdu que deux. L'un a disparu dans un car afghan. L'autre me fut subtilisé par la police secrète brésilienne qui, non sans un certain don de seconde vue, s'était imaginé que les quelques lignes que j'avais écrites - sur les blessures d'un Christ baroque - étaient une description, en code, de leur propre travail sur les prisonniers politiques.
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Les Pintupi étaient la dernière tribu « sauvage » à avoir été contactée dans le Grand Désert occidental et introduite à la civilisation blanche. Jusqu’à la fin des années 1950, ils avaient continué à pratiquer la chasse et la cueillette, nus dans les dunes, comme ils l’avaient fait pendant au moins dix mille ans.
C’étaient des gens insouciants et très ouverts d’esprit, qui ne connaissaient pas ces rudes rites d’initiation propres aux groupes plus sédentaires. Les hommes chassaient le kangourou et l’émeu. Les femmes cueillaient des graines, ramassaient des racines et tout ce qui pouvait se manger. En hiver ils s’abritaient derrière des pare-vent de spinifex ; et, même en pleine sécheresse, l’eau leur faisait rarement défaut. Une bonne paire de jambes était leur valeur la plus sûre et ils riaient sans cesse. Les quelques Blancs qui les visitèrent furent surpris de voir leurs nourrissons gras et en bonne santé.
Mais le gouvernement décréta que les hommes de l’âge de pierre devaient être sauvés… pour le Christ, si besoin était. En outre, on avait besoin du Grand désert occidental pour y mener à bien des opérations minières, éventuellement des essais nucléaires. Il fut donc ordonné d’embarquer les Pintupi dans des camions de l’armée et de les installer dans des lotissements du gouvernement. Nombre d’entre eux furent envoyés à Popanji, un camp situé à l’ouest d’Alice Springs, où ils moururent victimes d’épidémies, se prirent de querelle avec les hommes des autres tribus, se mirent à boire et à jouer du couteau.
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J’allai dîner sur Todd Street dans un restaurant à l’enseigne du Colonel Sanders. Sous le néon éblouissant, un homme dans un costume d’un bleu luisant prononçait un sermon à l’adresse de quelques candidats cuistots adolescents, comme si la cuisson du poulet frit à la mode du Kentucky était un rite religieux.
Je regagnai ma chambre et passai la soirée avec Strehlow et une bouteille de bourgogne australien.
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Tous les grands maîtres ont enseignés que l'homme était à l'origine, un "vagabond dans le désert brûlant et désolé de ce monde" - ce sont là les mots du Grand Inquisiteur Dostoïevski - et que, pour retrouver son humanité, il devait se débarrasser de ses attaches et se mettre en route.
Mes deux derniers carnets étaient pleins de notes prises en Afrique du Sud où j'avais observé, de visu, des preuves indiscutables sur l'origine de notre espèce. Ce que j'avais appris là-bas - avec ce que je savais maintenant des itinéraires chantés des aborigènes - semblait confirmer l'hypothèse que j'avais caressé depuis si longtemps : la sélection naturelle nous a conçus tout entiers - de la structure des cellules de notre cerveau à celle de notre gros orteil - pour une existence coupées de voyages saisonniers à pied dans des terrains épineux écrasés de soleil ou dans le désert.
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Les psychiatres, les politiciens, les tyrans nous assurent depuis toujours que la vie vagabonde est un comportement aberrant, une névrose, une forme d’expression des frustrations sexuelles, une maladie qui, dans l’intérêt de la civilisation, doit être combattue. Les propagandistes nazis affirmaient que les Tsiganes et les Juifs –peuples possédant le voyage dans leurs gènes- n’avaient pas leur place dans un Reich stable. Cependant à l’Est, on conserve toujours ce concept, jadis universel, selon lequel le voyage rétablit l’harmonie originelle qui existait entre l’homme et l’univers.
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Un panneau disait : « Le crédit est comme le sexe. Certains en obtiennent. D'autres non. » Sur un parchemin « médiéval » on pouvait voir la caricature d'un culturiste et un texte en caractères gothiques :

Oui, bien que je traverse
La vallée de l'ombre de la mort
Je ne crains pas le mal
Car moi, Bruce, je suis
Le plus méchant con de toute la vallée.

A côté des bouteilles de Southern Comfort se trouvait un vieux flacon rempli à ras bord d'un liquide jaune portant sur l'étiquette : Authentic N. T. Gin Piss (Véritable pisse de femme aborigène du Territoire du Nord).
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Il but son vin à petites gorgées. Nous restâmes assis en silence pendant une minute ou deux, puis il dit rêveusement : "Oui, c'est un délicieux endroit pour se perdre. Se perdre en Australie vous donne un délicieux sentiment de sécurité."
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Alors que nous approchions d'un des gommiers, une volée de cacatoès noirs s'enfuit en grinçant comme des charnières rouillées et se reposa plus loin sur un gommier mort. J'enlevai mes lunettes et vis l'éclair de plumes rouges qui étincela sous leurs queues.
Nous nous installâmes à l'ombre. Les sandwiches étaient immangeables et nous les jetâmes aux corneilles. Il nous restait heureusement des biscuits et du fromage, des olives, une boîte de sardines, et cinq bières fraîches.
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